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Villeneuvette (Vilanoveta, la « petite ville neuve ») naît vers 1675, de l’initiative de drapiers de Clermont-l’Hérault, Pierre Bayle puis André Pouget, qui établissent à quelques kilomètres au nord-ouest de la ville une nouvelle manufacture et les logements des tisserands, dès le départ organisés comme un ensemble urbain créé de toutes pièces, sur un plan rectangulaire. Des lettres patentes de Louis XIV érigent en 1677 la nouvelle communauté d’habitants, dont le territoire pris aux localités voisines restera réduit. Dès 1680 il y a au moins soixante-six maisons. Le plus remarquable de l’histoire de Villeneuvette est qu’elle ait conservé sa vocation manufacturière textile de la fin du XVIIe s. à 1954, et qu’elle soit restée jusqu’à 1968, malgré sa morphologie toute villageoise, une propriété unique. De 1803 à 1954, une seule famille manufacturière, les Maistre, a présidé, durant cinq générations, aux destinées du site. Tout au long de son histoire active, l’établissement industriel a été adapté et modernisé, notamment au prix de grands travaux hydrauliques, puis de l’installation d’autres sources d’énergie. Le village des tisserands, lui, n’a pas beaucoup changé. Une majestueuse allée de platanes (succédant  aux mûriers  plantés en 1740) conduit à la porte monumentale de la petite ville neuve. La place ombragée s’orne d’une fontaine devant l’église. Celle-ci était en construction en 1740 : on avait dû reconstruire à cette époque un premier édifice qu’on sait exister déjà en 1678, devenu sans doute trop exigu. C’est un simple bâtiment rectangulaire, à chevet plat, sans ordonnance particulière. À l’extérieur, sa génoise et ses enduits à la chaux assurent son harmonie totale avec les bâtiments du village et de la manufacture, dont seule sa porte, plus ornée, le distingue. On discerne par endroits, sous une première couche d’enduit, ce qui devait être le revêtement originel des murs au XVIIIe s.: la texture et la couleur de cette « peau » fragile des façades de l’église sont savoureuses et en font un témoignage précieux et émouvant qu’il importe de conserver. L’intérieur de l’église est divisé en trois travées, voûtées d’un berceau à pénétrations, certainement réalisé en briques posées à plat. Les autels et la décoration sont du XIXe s., avec quelques réutilisations d’éléments plus anciens : en particulier la Vierge en albâtre du XVIIe s. (classée M.H.) ou le tabernacle du maître-autel (XVIIIe s.). Mais  le plus surprenant  à l’intérieur  est le décor peint, recouvrant ; l’ensemble des murs et de la voûte, réalisé en  1870  par  Jacques Pauthe à la demande de Casimir  Maistre  et  de  son  épouse, Euphémie Delpon. Les retables des autels, en gypserie néo-XVIIIe s., sont polychromés par ce décor, et complétés de figures de saints ou de motifs décoratifs ou allégoriques. Des médaillons, avec des figures de saints, décorent les lunettes de la voûte à pénétrations. Au-dessus du chœur, au sommet de la voûte, le peintre a placé une apothéose divine, qui est une vision céleste placée au-delà d’un oculus feint, muni d’une balustrade en trompe-l’œil, à laquelle s’accoudent des personnages. Ceux-ci sont principalement les commanditaires : Euphémie, soutenue par sa sainte patronne, présente vers le ciel l’usine modernisée, reconnaissable par la haute cheminée de sa machine à vapeur, tandis que derrière les deux femmes est représentée l’entrée monumentale de Villeneuvette, avec sa devise au fronton : Honneur au Travail. Face à elles, Casimir Maistre lève vers le ciel le bras droit, largement drapé d’une pièce d’étoffe garance, qui retombe en bouillonnant sur la balustrade feinte : depuis 1808, la principale production de Villeneuvette était du drap militaire. Au centre, un personnage barbu semble désigner le manufacturier: saint Casimir? D’autres personnages les accompagnent, sans doute évocateurs de figures de Villeneuvette à cette époque. C’est sur la balustrade que le peintre a signé : Pauthe, 187 0 , tandis que sur les ballots représentés derrière Casimir Maistre figurent leurs initiales : C.M., E.M., et ce chiffre: 89. Entre les personnages accoudés et la figure centrale de Dieu sur la nuée (en trois personnes, la croix personnifiant le Christ, à gauche, faisant face à un ange plus grand, personnifiant le Saint-Esprit ?), entouré d’anges et de chérubins, se dressent, messagers divins, deux grandes figures ailées levant bien haut des couronnes de lauriers, destinées à récompenser les efforts des mortels ; et pour que le message soit encore plus explicite, ils arborent un phylactère qui proclame : Dieu bénit le travail. Pauthe a ici adapté, avec une certaine verve, les poncifs d’une tradition picturale baroque à un programme rarement exprimé aussi explicitement en images, où le travail et l’entreprise accomplissent le plan de Dieu pour l’humanité et où les patrons jouent le premier rôle. Dans la première travée de la nef, une autre peinture, sur le mur nord cette fois, procède de la même pensée. C’est une représentation de la chute de Lucifer et des anges rebelles, jetés à terre par l’archange Michel en présence de trois figures qui doivent être la Loi, l’Espérance et la Charité (en tout cas la première d’entre elles, à gauche, présente un phylactère où est écrit credo). D’autres phylactères accompagnent les anges déchus : on peut y lire matérialisme et athéisme. La mise en place picturale de cette scène, avec raccourcis et contre-plongée, est encore toute baroque. L’auteur de ces peintures, Jacques Pauthe (Castres 1809 – Perpignan 1889) est un personnage peu connu qui mériterait une étude. Le grand décor religieux semble avoir été sa spécialité : il est l’auteur en particulier des peintures murales de l’ensemble des chapelles de la cathédrale de Perpignan, œuvre importante qu’ une restauration projetée permettra de réexaminer ; il aurait également décoré l’hôpital de Castres et participé aux décors de la cathédrale d’Orléans. Il est bien évident qu’outre son aspect extérieur si bien intégré au charme de Villeneuvette, l’intérêt patrimonial de cette église réside certainement dans cet ensemble de peintures, si intimement lié à l’histoire même du site et si original dans son propos. Ce n’est qu’en 1994 que l’église (qui abrite également les sépultures des anciens propriétaires de la manufacture) est devenue propriété communale. Dès 1995, sollicité par la municipalité, l’auteur de ces lignes avait eu l’occasion de souligner son intérêt et avait insisté sur l’urgence des travaux de remise en état : la toiture, nullement étanche, provoquait des infiltrations qui altéraient gravement le décor peint, dont par endroits les écailles jonchaient le sol. Une visite, en 1996, de M. Christian Prévost-Marcilhacy, alors inspecteur général des Monuments historiques, aboutissait aux mêmes conclusions et à une demande de protection de l’ancienne manufacture au titre des Monuments historiques, qui n’a pas encore été suivie d’effet. Dans le même temps, la municipalité présidée par M. Gérard Maistre – par ailleurs engagée dans une action de réhabilitation et de restauration multiforme, souvent difficile à mettre en œuvre en raison de la dimension de la commune (83 habitants) – sollicitait divers concours pour entreprendre les travaux, dont celui de la Sauvegarde de l’Art français. Le plan de financement bouclé seulement après quelques années, les travaux de réfection complète de la toiture ont eu lieu à l’automne 1999 et se sont achevés au début de l’année suivante. Une grande partie de la charpente et l’ensemble de la couverture en tuiles rondes ont été refaits, avec une protection étanche en sous toiture, mettant enfin l’église et son décor peint à l’abri. Le montant des travaux a été de 380 000 F, sur lequel la Sauvegarde de l’Art français a apporté 60 000 F. Il est nécessaire de passer maintenant au sauvetage des peintures, l’honnêteté obligeant à dire qu’entre 1995 et la mise hors d’eau, elles se sont encore dégradées. C’est une tâche d’ores et déjà entreprise par la commune, qui vient (octobre 2000) d’en charger Mme, Eileen Maitland, restauratrice à Montpellier, malgré un plan de financement encore incomplet.

O.P.

 

 

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