Occitanie, Hérault (34)
Tour-Sur-Orb La, Église Sainte-Marie de Frangouille
Édifice
Église Sainte-Marie de Frangouille. André Soutou a minutieusement analysé ce toponyme, Frangolha (transcrit Frangouille en français), encore écrit Frangoliano et Frangolano au XIIe s., pour y trouver la trace d’un nom de personne franc, Francolinus, qui a pu être celui du fondateur ou possesseur d’un domaine foncier en cet endroit au VIIe ou au VIIIe siècle. Frangouille est aujourd’hui un des nombreux hameaux de la commune de la Tour-sur-Orb (commune qui au XIXe s. portait le nom de Boussagues), située dans les hauts-cantons de l’Hérault, juste en amont de Bédarieux dans la vallée de l’Orb. Non loin du village de Frangouille proprement dit se dresse le Mas de l’Église (Mas de la glèisa), groupe de quelques maisons autour de l’église, dans un paysage champêtre.
Dès 1135, plusieurs bulles pontificales confirmant les biens de l’abbaye de Joncels attestent l’existence de l’église de Santa Maria de Frangolha, sans doute paroisse relevant du diocèse de Béziers. Assez vite (XIIIe s.) elle dut devenir une annexe de la paroisse voisine, Saint-Xist, elle aussi possession de Joncels, statut qu’elle conserva jusqu’à la Révolution. Le chercheur plus haut cité a publié l’acte de janvier 1143, écrit en langue d’oc mêlée de latin, par lequel une dame Bérengère de Frangouille a laissé aux Templiers tous ses biens situés dans cette paroisse, mais celle qui était suffisamment puissante en ce lieu pour en porter le nom ne possédait pas la juridiction sur l’église, car celle-ci semble être toujours restée à l’abbaye de Joncels. Preuve s’il en était besoin de cette appartenance, on découvrit en 1928 derrière le maître-autel le cercueil en plomb de Joseph Gabriel de Thézan du Poujol, abbé de Joncels, mort en 1686. Par un curieux glissement de sens, l’historiographie locale désigne pourtant aujourd’hui l’édifice comme “église Bérengère de Frangouille”, ce qui est un évident contre-sens.
D’ailleurs, l’église aujourd’hui conservée n’a même pas dû être contemporaine de sa riche paroissienne, car ses éléments architecturaux les plus caractéristiques accusent plutôt le XIIIe siècle. L’édifice n’est pas homogène. Il comprend une nef de deux travées, voûtées en berceau brisé, et une abside à cinq pans, ornée d’une voûte à nervures délimitant autant de compartiments. Ces nervures finement moulurées retombent sur des culots sculptés que l’on peut rattacher à l’art du milieu du XIIIe siècle : ce sont, de gauche à droite, un groupe de trois visages, un culot sculpté de crochets ou fleurons, un autre sculpté de feuillage, un encore orné de fleurons, un d’un seul visage, enfin un dernier orné des mêmes fleurons dessinant des sortes d’étoiles. L’abside est éclairée par deux fenêtres à double ébrasement, l’une axiale, l’autre ouverte au midi. Ce chevet élégant se raccorde à la nef par un arc triomphal sommaire et sans aucun ornement, qui plus est oblique par rapport à l’axe de la nef. Il est difficile d’interpréter cette irrégularité, qui témoigne cependant, à mon avis, d’une histoire de l’édifice plus mouvementée qu’on ne pourrait le penser au premier abord. Quand on examine les murs à l’extérieur, il y a une certaine différence entre la travée orientale de la nef, aux corniches légèrement plus basses, et flanquée de trois contreforts rapprochés de chaque côté (ceux du côté sud ont été arrachés), et la travée occidentale, plus régulière, plus massive, où s’ouvre le portail. Celui-ci est bâti dans un massif saillant prolongeant un ancien contrefort ; il est composé d’une archivolte brisée en calcaire gris, retombant sur des culots sculptés de frustes visages. Il y a là un jeu volontaire avec la couleur, car l’ensemble de l’église est bâti en un grès local de couleur rouge, presque violet. La porte elle-même est faite de claveaux alternés rouges et gris. L’arc doubleau qui sépare les deux travées de la nef est sobrement mouluré et retombe sur de simples pilastres aux angles abattus. À la réflexion, la travée médiane de l’édifice (celle avec les contreforts) pourrait être la partie la plus ancienne de l’église, qui aurait été agrandie ou renouvelée autant à l’est qu’à l’ouest. Bien qu’oblique, l’arc triomphal se situe dans l’alignement du mur qui limite le cimetière, au sud de l’église, et il s’agit là sans doute d’un tracé fort ancien que l’édifice modifié a dû respecter ou intégrer : seules des investigations archéologiques pourraient peut-être apporter des éléments de réponse. Au nord, il existe quelques vestiges d’une construction de plan carré, qui communiquait avec l’église par une porte : il s’agit sans doute d’un ancien clocher-tour dérasé, mais le drain qui vient d’être installé tout autour de l’église semble être passé sans ménagements à travers ces substructions.
À l’intérieur, Sainte-Marie de Frangouille présente encore quelques lambeaux de décor. On remarque çà et là des éléments d’un décor mural fait d’un faux appareil à joints noirs, décor certainement médiéval, peut-être du XIVe s., qui a dû revêtir tout l’édifice et qui doit être conservé en partie sous les badigeons. Il reste encore à organiser une campagne de réhabilitation de ces parements intérieurs qui prenne soin de ces peintures. Quelques objets sont à signaler : deux statues du XVIIe s., polychromes, provenant sans doute d’un retable, un meuble de rangement de la même époque ; au maître-autel, l’image de Notre-Dame de Frangouille est une statue en “carton romain” des environs de 1860, offerte par une famille locale.
Pour des travaux nécessaires de drainage, de rejointoiement des murs et de reprise de la couverture en lauzes, la Sauvegarde de l’Art français a versé 18 294 € en 2001.
O. P.