Bourgogne-Franche-Comté, Yonne (89)
Sens, église Saint-Maurice, La Madeleine dans le désert
Sculpture
Dans le cadre de la campagne du Plus Grand Musée de France, nous vous invitons à soutenir la restauration de ce bas-relief représentant la Madeleine dans le désert.
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La Madeleine dans le désert
La Madeleine dans le désert est un bas-relief en calcaire de Tonnerre daté de 1567. L’œuvre est conservée dans l’église Saint-Maurice située au bord de l’Yonne à Sens (89). Cette église, datant du XIIème siècle, n’a pourtant pas toujours abrité le bas-relief. D’après l’abbé Chartraire, l’œuvre a été transférée en 1817 seulement à Saint-Maurice. Auparavant, la figure de cette Madeleine pénitente en pierre polychrome ornait très certainement l’autel de sainte Marie-Madeleine dans la cathédrale de Sens.
L’inscription en latin, encore bien visible, sur la partie haute du bas-relief atteste de l’identité du commanditaire ainsi que de l’année de sa création: « M. GVLIELMUS SOTAN CVRTINIACEN. HANC DIVAE MAGDALENES IMAGO INSCULPENDA CURAVIT 1567. »
Guillaume Sotan de Courtenay, mort en 1569, fut chanoine de Saint-Pierre de 1558 à 1563, avant de devenir chanoine du Trésor. Il était également chapelain de l’autel de sainte Marie-Madeleine de la cathédrale de Sens, ce qui justifierait la commande du bas-relief. Dans les années 1740, l’œuvre est déposée dans l’église des Cordeliers, au moment de la reconstruction de la sacristie et du Trésor de la cathédrale. Elle est finalement transférée aux lendemains de la révolution dans l’église Saint-Maurice.
Ce bas-relief est une œuvre sénonaise éminente car elle s’inscrit dans le contexte artistique et religieux local. L’œuvre en pierre polychrome a souvent été rapprochée du travail du célèbre artiste natif de Sens, Jean Cousin Père et notamment de son tableau Eva Prima Pandora (1550) exposé au musée du Louvre.
Jean Cousin est né à Sens dans les années 1490. Après avoir travaillé comme géomètre en 1526 dans sa ville natale et avoir dessiné des cartons pour les vitraux de la cathédrale de Sens et peint un retable pour l’abbaye de Vauluisant à Courgenay (89) en 1530, il s’installe vers 1540 à Paris où il exécute des œuvres importantes telles que les cartons pour les tapisseries de la Vie de sainte Geneviève ou, en 1543, les huit cartons de l’Histoire de saint Mammès, peints pour le cardinal de Givry. On lui connaît assez peu de tableaux et Eva Prima Pandora est demeurée dans une famille de Sens jusqu’à ce qu’elle soit acquise par la Société des amis du Louvre puis donnée au musée du Louvre en 1922.
La ressemblance est frappante entre les représentations, peinte pour l’une et sculptée pour l’autre, de figures représentant la nature faillible de la femme : Eve ou Pandore, responsables de la chute des hommes et Marie-Madeleine, incarnation de la rédemption féminine. Les dimensions des œuvres sont semblables, la posture des deux femmes est en tout point comparable, de même que l’arrière-plan constitué de vestiges antiques. Le bas-relief prouve ainsi l’influence artistique qu’a eu localement l’œuvre Eva Prima Pandora qui est ainsi perçue comme « sans doute parisienne de conception en tout cas sénonaise de destination ».
Le sculpteur anonyme a donc transformé la figure d’Eva Prima Pandora en une Madeleine, reprenant l’iconographie attribuée à cette figure mais en adaptant le modèle de Jean Cousin. Ainsi, la Madeleine est représentée vêtue d’une robe drapée et a les cheveux recouverts d’un voile. Sa robe, fendue, découvre sa jambe gauche. Ce détail fait certainement référence à la vie luxueuse et licencieuse de Marie de Magdala avant sa rencontre avec le Christ. L’urne qu’elle touche de sa main gauche est la même que celle que l’on observe sur le tableau Eva Prima Pandora. L’objet fait directement référence à la Bible qui indique que Marie-Madeleine faisait partie des trois Marie, les premières à aller voir le cadavre du Christ, le dimanche de Pâques. Son regard est tourné vers la droite, côté duquel elle s’accoude sur un crâne tout comme Eva Prima Pandora, dans le tableau de Jean Cousin. Cependant sur le relief, la Madeleine porte également une croix dans sa main droite. Le crâne et la croix sont les attributs de la Madeleine pénitente dans le désert après la mort de Jésus.
Figure à la fois pécheresse et repentante, Marie-Madeleine fait l’objet d’un culte particulièrement développé au XVIème siècle à Sens et dans l’Yonne. À Vézelay, la basilique Sainte-Marie-Madeleine, une des plus grande basilique de la chrétienté, située sur la route des grands pèlerinages, conserve les reliques de la sainte, reconnues par le pape en 1058. Ces reliques, ont été remises par le pape Martin IV et sont conservées au Trésor de la cathédrale de Sens dès 1281, puis ont été de nouveau déposées à Vézelay en 1876 par Victor-Félix Bernadou, archevêque de Sens. L’afflux de pèlerins, venus vénérer les reliques, contribue à l’implantation du culte dans la région ce qui explique l’autel dédié à sainte Marie-Madeleine dans la cathédrale de Sens, pour lequel Guillaume Sotan avait commandé l’œuvre. Elle est sculptée dans la pierre calcaire de Tonnerre, caractéristique de l’Yonne. Le bas-relief s’inscrit donc parfaitement dans le contexte artistique et religieux de Sens pendant la Renaissance.
Cette œuvre semble avoir connu une certaine célébrité localement ce qui lui vaut paradoxalement un hommage sévère de Victor Petit dans son Guide pittoresque de la Ville de Sens qui la traite d’ouvrage « bizarre et médiocre […] peint d’une manière ridicule » . Aujourd’hui, l’humidité de l’église Saint-Maurice met largement en péril la Madeleine dans le désert, favorisant le développement de sels solubles. Ces sels se cristallisent et forment des efflorescences salines au coeur de la pierre, le calcaire étant extrêmement poreux. Les formations exercent des pressions qui peuvent dépasser la résistance mécanique des pierres les plus dures et peuvent entraîner des éclatements, des fissures et des pertes de matière qui altèrent l’œuvre et sa signification. La restauration du bas-relief, afin de le dessaler et sa dépose dans un environnement plus sain s’avèrent nécessaires pour sa préservation et pour permettre sa transmission.
La Madeleine dans le désert est un bas-relief extrêmement précieux pour le patrimoine artistique, culturel et historique de la ville de Sens et de l’Yonne, qui mérite ainsi, une fois restauré, de retrouver sa place dans la cathédrale Saint-Étienne.
BIBLIOGRAPHIE
- FIRMIN-DIDOT, Amboise, Recueil des Œuvres Choisies de Jean Cousin, Paris : Librairie de Firmin Didot, Frère, Fils et Cie, 1873.
- PETIT, Victor, Guide Pittoresque des voyageurs dans la ville de Sens. Description de ses Antiquités, Églises, Ponts, Portes, Monuments Publics, etc, etc., Auxerre : Imprimerie et Lithographie de Perriquet, 1847.
- ROY, Maurice, Artistes et Monuments de la Renaissance en France. Recherches nouvelles et Documents inédits, Paris : Librairie Ancienne Honoré Champion, 1929.
- SCAILLIÉREZ, Cécile (dir.), Jean Cousin, Père et Fils. Une famille de peintres au XVIe siècle. Paris : Louvre Éditions, 2013.
Projet mené par Agnès Lascaux et Réjane Bonnot, étudiantes à Sciences Po Paris
Ils en parlent
- L’Yonne républicaine : « Un bas-relief en calcaire à restaurer à Sens » ; La recherche de dons avance pour La Madeleine dans le désert
- L’Indépendant : Agnès et Réjane, deux Sénonaises, ambassadrices pour la promotion de « La Madeleine dans le désert »
- Comcomtv, la télé de l’Yonne : interview de Réjane et Agnès
- France Bleu Auxerre : A Sens, mobilisation pour sauver le bas-relief de la Madeleine dans le Désert
- L’Yonne républicaine : Le sauvetage du bas-relief La Madeleine dans le Désert, conservé à Sens, vient de débuter