Nouvelle-Aquitaine, Charente (16)
Saint-Front, Église Saint-Front
Édifice
Même si l’église Saint-Front (dont la dédicace a donné son nom au village) n’est pas de très grande dimension (longueur totale 36 m), elle en impose par sa masse, surtout à qui l’aborde en montant de la vallée du Son vers la colline où elle s’élève, par l’ancien chemin d’accès, tracé à l’est du chevet. Un terrain assez vaste l’entoure, planté de quelques beaux arbres ; il s’agit manifestement de l’aire de l’ancien cimetière sur lequel subsistent encore quelques tombes médiévales ; l’une d’elles, en bâtière, retournée afin de servir de banc ou de reposoir lors des funérailles, à proximité du portail occidental de l’église, pourrait remonter au XIIIe siècle.
Rien de plus simple en apparence que cette église au plan cruciforme, au transept développé et au chevet plat, un peu malencontreusement flanqué, au sud, d’une sacristie. Mais, en fait, l’édifice actuel est le résultat d’une histoire complexe qu’il n’est pas toujours aisé de déchiffrer. C’est sans doute vers le milieu ou dans la seconde moitié du XIIe s. que l’on a bâti une église à nef unique, au-dessus de grottes naturelles, d’accès malaisé et dont la fonction religieuse n’est pas établie (un enfeu, dans le mur sud au bas de l’escalier ouvrant à l’extérieur du croisillon nord, suggère plutôt un usage funéraire). Sans doute était-elle déjà pourvue d’un transept, et se terminant peut-être par un chevet semi-circulaire. Cette nef était précédée d’un clocher porche, dont le rez-de-chaussée est couvert d’une coupole et qui constitue le vestige le plus important de ce premier état dont témoigne aussi, dans le carré du transept, des colonnes romanes avec leurs chapiteaux. Le portail occidental, au tracé presque surbaissé, paraît avoir été fortement remanié et, si l’on en juge par le style des chapiteaux de ses piédroits, pourrait même être contemporain de la reconstruction totale de la nef, sous la forme de deux travées voûtées sur croisées d’ogives, datables probablement du XIVe siècle. Il est possible que le chevet ait été reconstruit sur un plan carré lors de cette même campagne, car le remplage de style flamboyant de la fenêtre d’axe ne date sans doute que du XIXe siècle ; les murs des croisillons ont probablement été remontés et plusieurs fois réparés ; les puissants contreforts, placés obliquement aux angles du croisillon nord pourraient toutefois ne dater que d’une campagne ultérieure, car cette partie de l’édifice paraît la plus médiocre du point de vue de la construction et demeure la plus fragile.
D’après le dessin des fenêtres percées dans les murs de l’étage supérieur du clocher-porche, la surélévation de celui-ci, à des fins probablement défensives, pourrait remonter, elle aussi, au XIVe siècle. Mais l’édifice a continué à vivre après cette importante et probablement longue phase de reconstruction : aussi peut-on s’interroger sur la date de la jolie porte en accolade qui ouvre au sud de la première travée de la nef ou sur celle des fenêtres méridionales de la nef (le mur nord est aveugle) qui, malgré leur tracé en plein cintre, ne sont certainement pas des vestiges de l’état roman de l’édifice. Peut-on, en revanche, considérer que la petite porte (aujourd’hui murée), elle aussi en plein cintre, du mur occidental du croisillon sud remonte au XIIe siècle ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un aménagement de l’époque moderne devenu obsolète à une date relativement ancienne ? Les contreforts plats du pignon du croisillon sud pourraient paraître, à première vue, identiques à ceux des façades ouest et nord du clocher-porche ; en fait ils n’en sont sans doute qu’une imitation tardive, tant leur appareil et leur liaison avec les maçonneries sont différents. Les deux gros contreforts qui contrebutent les murs de la nef au niveau du doubleau séparant les deux travées sont apparemment symétriques. Mais l’appareil de celui qui est placé au nord est passablement négligé ; celui du sud, de construction plus soignée, inclut dans ses fondations un fragment de pierre tombale médiévale et l’on peut voir au sommet du très grand larmier qui le surmonte, une figure sculptée, manifestement en réemploi, peut-être un fragment de gargouille ; ce qui pourrait indiquer que dans son état du XIVe siècle, l’église n’était pas dépourvue d’ornements extérieurs. On peut noter enfin la présence, sur les contreforts de la face nord du clocher-porche, de trois corbeaux qui devaient correspondre à un portique extérieur en bois.
Afin de contribuer à la préservation de cet édifice attachant, dont le majestueux clocher s’inscrit bien dans un paysage qui participe de l’Angoumois et du Limousin, la Sauvegarde de l’Art français a accordé un don de 10 000 €, en 2010, pour les travaux de couverture et de charpente.
Jean-René Gaborit