Grand Est
Neuviller-lès-Badonviller, Église, Paire de bénitiers
Objet d’art
Paire de bénitiers, réalisés par la cristallerie Daum Nancy
Ces bénitiers sont en verre multicouche soufflé ainsi qu’en fer forgé. Ils sont surmontés d’une croix en émail. Larges de 39 centimètres et hauts de 22 centimètres, ils font 17 centimètres de profondeur. Ils sont conservés en l’église paroissiale de Neuviller-lès-Badonviller, qui se situe dans l’arrondissement de Lunéville en Meurthe-et-Moselle. Ces deux bénitiers ont été inscrits aux Monuments historiques le 30 janvier 2013.
Des œuvres de Daum et Majorelle…
L’un des deux bénitiers est signé « Daum Nancy ». La verrerie a été fondée par Guillaume Avril et Victor Bernard en 1872 et mise en service en 1875. Pour trouver les fonds nécessaires au fonctionnement, ils font appel à un notaire, Jean Daum, qui s’est établi à Nancy en octobre 1876. La santé financière de l’entreprise n’étant pas bonne, Avril et Bertrand se voient obligés de vendre à l’amiable droit et usine. La société Avril Bertrand et Cie fait place à la Verrerie de Nancy, qui sera renommée la société Daum et Fils en 1883. Jean Daum meurt en février 1885 et son fils Auguste lui succède à la tête de l’entreprise. Daum produit en réalité peu d’œuvres à caractère religieux. Jusque dans les années 1930, Daum produit de la gobeleterie ordinaire et des verres de montre. Durant les années 1890, Daum est propulsée dans le cercle des industries d’art et devient un acteur de l’École de Nancy. La verrerie récolte de nombreux prix et fait succès à l’exposition internationale de Bruxelles en 1897. Le savoir-faire de l’entreprise Daum est inscrit à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France.
Ces bénitiers ont probablement été réalisés en collaboration avec l’ébéniste et décorateur Louis Majorelle (1859-1926). Élève à l’École des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier du peintre Aimé Millet de 1877 à 1879, il met fin à son cursus à la mort de son père et revient à Nancy afin de surveiller la fabrique de faïence et de meubles familiale. Vers 1900, il crée un atelier de forge et obtient un grand succès à l’exposition universelle de 1900. Il collabore par la suite régulièrement avec la verrerie Daum. En 1901, il devient l’un des membres fondateurs et vice-présidents de l’École de Nancy. Les œuvres majeures de Majorelle sont principalement des pièces de mobilier, conservées dans de très nombreux musées français et étrangers, dont le musée d’Orsay et le musée de l’École de Nancy. Il a également réalisé une série unique de vitraux qui peuvent être admirés à la maison de la Formation de Mont-Saint-Martin. Les balcons et les rampes d’escaliers des Galeries Lafayette à Paris sont aussi de sa création.
… réalisées vers 1922
Les bénitiers sont accrochés aux murs de l’église Saint-Laurent de Neuviller-lès-Badonviller, construite une première fois en 1616 mais qui a subi de nombreuses destructions au cours de son histoire. De nombreux dégâts ont été causés à l’édifice pendant la Première Guerre mondiale, ce qui a nécessité sa quasi-reconstruction vers 1920/1921. C’est peut-être en vue d’orner la nouvelle église qu’ont été réalisés les deux bénitiers de la cristallerie Daum. Cependant, l’article de la revue Semaine religieuse relatant la bénédiction de la nouvelle église le 23 octobre 1923 ne mentionne pas la présence des bénitiers, mais seulement les nouveaux vitraux et le mobilier. La maison Daum étant fort connue dans la région, il est probable que les bénitiers n’aient pas encore été installés à ce moment-là. L’église actuelle est inspirée du gothique avec sa tour haute et élégante, sa nef vaste et sa voûte ogivale. Elle abrite d’autres œuvres de qualité telles que le mobilier réalisé par Jules Cayette (1882-1953), les vitraux de Gsell et les cloches de Robert. Elle a fait l’objet d’autres restaurations récentes (rosace et vitraux de la tour, toiture).
Des bénitiers en verre soufflé
Chaque bénitier est formé d’une corbeille de fer forgé plaquée au mur, aux formes très simples évoquant les ondes. Soufflée à travers les ouvertures de ce treillage de métal, une coupe de verre se gonfle en bulles irrégulières. Le dégradé des bleus plus ou moins foncés et translucides est du plus bel effet. Une croix émaillée plaquée sur le mur surmonte la coupe. La vasque Nord est signée : « Daum Nancy ».
La restauration
Concernant l’état de conservation, chaque bénitier semblait présenter des altérations communes : un empoussièrement plus ou moins important, surtout localisé dans les creux, ainsi que de légères rayures. En outre, le rebord gauche de l’un des bénitiers était brisé. Ce bénitier présentait également des fissures qui le traversaient à différents endroits. Le verre était sain : que ce soit à l’intérieur de la vasque ou à l’extérieur, il n’était pas attaqué chimiquement. L’autre bénitier ne présentait d’altérations mécaniques ou chimiques (en tout cas sur les parois externes de la vasque) et était en très bon état structurel. Seuls des dépôts exogènes de type calcaire étaient.
Une technique bien particulière
Comme nous l’avons signalé, la maison Daum Nancy a réalisé peu d’œuvres à caractère religieux. Des réalisations de la même époque peuvent cependant être rapprochées des bénitiers de Neuviller. C’est notamment le cas du vase « verre de jade » ci-contre datant de 1925 et conservé au Musée des Beaux-Arts de Nancy. Tout comme les bénitiers, le verre est soufflé et l’armature est en fer forgé de Louis Majorelle. La signature est gravée à la roue. Le décor présente notamment des feuilles d’or.
La technique « verre de jade », que la maison Daum a gardé secrète à l’époque, consiste à déposer à chaud sur le verre une mince couche de poudre de diverses couleurs, selon une cartographie bien précise. Après passage au four de réchauffage, le futur vase se trouve recouvert d’une savante polychromie bien incrustée à sa surface et entièrement revitrifiée. On lui donne ensuite sa forme finale par soufflage au moule.
Daum étudie par ailleurs avec Majorelle une série de vases et de coupes faits de verre jade soufflés dans une résille de fer forgé, après inclusion de feuilles d’or qui éclatent au soufflage final. Cette méthode rencontre très vite un grand succès. Les motifs décoratifs sont en revanche passés de mode dans les années 1920 et presque abandonnés, même si certaines œuvres en présentent toutefois encore, notamment des motifs floraux.
Archives et documentation diverse
• Fiche technique de l’œuvre rédigée par M. Antoine, CAOA de Nancy ;
• Constat d’état réalisé par Mme Sophie Cheam, restauratrice du patrimoine ;
• Bénédiction de la nouvelle église de Neuville-lès-Badonviller, dans Semaine religieuse, 17 novembre 1923, p. 714-715.
Ouvrages et articles
• BARDIN, Chr., Daum, une industrie d’art lorraine, 1878-1939, Serpenoise, Metz, 2004.
• BARDIN, Chr., Les débuts de la verrerie Daum à Nancy, dans Revue de l’Art, 1999, n°1, p. 64-70.
• BOUVIER, R. et THOMAS, V., dir., Majorelle, un art de vivre moderne, Éditions Nicolas Chaudun, 2009.
• BOUVIER, R., Majorelle : une aventure moderne, Serpenoise, Metz, 1991.
• CAPPA, G., Le génie verrier de l’Europe, Mardaga, Liège, 1998.
• CAPPA, G., L’Europe de l’art verrier, Mardaga, Liège, 1991.
• DAUM, N., Daum, maîtres verriers, Denoël, Lausanne, 1977.
• KIRCHNER, Ch., Daum, Soline, Courbevoie, 2004.
• La manufacture Daum, dans De la Lorraine, Hazan, Paris, 2004.
• RENAUD, P.-Ch., Daum : l’âme des verriers, 1875-1986, Édition Place Stanislas, 2009.
Pages Web
• www.ecole-de-nancy.com/web/index.php?page=louis-majorelle
• www.fondation-patrimoine.org/fr/lorraine-15/tous-les-projets-722/detail-eglise-saint-laurent-a-neuviller-les-badonviller-14909
Projet mené par Olivier Roisin, Johanne Hughes, Tom Josten, Roman Knerr, Juliette Marchet, Julie Peters, étudiants à Sciences Po