Auvergne-Rhône-Alpes, Loire (42)
Montbrison, Commanderie de Saint-Jean-des-Prés
Édifice
Une commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem est fondée à Montbrison dans les années 1260, au moment où le comte Guy II, renonçant à ses droits sur Lyon et, replié sur le Forez, fait de ce château sa capitale administrative, et où une agglomération s’ébauche sous sa protection. En 1181, une charte rappelle que la commanderie s’est établie sur le domaine, que le comte lui a donné dans la plaine : prés et moulin, à l’est du château et du grand chemin, à proximité mais à l’écart de la route venant de Vienne. Les donations affluent et à cette époque la chapelle se construit ou vient d’être construite.
La commanderie a longtemps mérité son nom de commanderie Saint-Jean-des-Prés. Les extensions successives de l’enceinte urbaine la laisseront toujours hors les murs. Aujourd’hui encore, côté faubourg de l’anneau des boulevards, elle est enclavée dans une zone floue, au bout d’une impasse.
Vendu à la Révolution, le domaine fut démembré, les bâtiments découpés et lotis. Autour, des ateliers se sont construits, puis, dans le dernier demi-siècle, des immeubles en hauteur. Défigurés par cent cinquante ans d’utilisation médiocre, jugés hors normes, les bâtiments conventuels furent rasés en 1970, pour laisser place à de mornes garages à voitures, au-dessus desquels s’élève, impressionnante, la chapelle, seul et superbe reste de la commanderie. Le plus ancien monument de Montbrison, contemporain de sa création, comme oublié dans un coin.
C’est bien d’une opération de sauvetage que la société de la Diana s’est chargée en acquérant cette chapelle.
Le bâtiment, long de 27 m, est divisé en deux parties distinctes : la nef, qui a dû être construite en une seule fois dans la seconde moitié du XIIe s., et le chœur, élevé à la fin du XIVe siècle.
La nef est un édifice d’une grande simplicité dans la structure et le décor : la longueur de 18,60 m est divisée en trois travées par des contreforts extérieurs et intérieurs, ces derniers portant le départ d’arc doubleaux. Les contreforts ont 80 cm de largeur, et 65 cm de saillant pour les contreforts extérieurs, 35 pour les intérieurs, qu’on peut ajouter aux 120 cm du mur lui-même. Le vaisseau est très large : 7,30 m, et les travées plus larges que longues (5,20 m). Cela peut expliquer que la voûte de pierre d’origine se soit effondrée à une époque ancienne. La charpente qui couvre l’église remonte au XVIIe siècle : elle est lambrissée et surbaissée ; une ferme sur deux repose sur les départs des arcs doubleaux, tandis que l’autre s’appuie directement sur les murs.
Les murs de chaque travée sont allégés par un arc légèrement brisé, où s’inscrit en partie haute une baie cintrée et fortement ébrasée.
Le parement extérieur, en grand appareil de granit, très régulier, est imposant. Les effets décoratifs, minimalistes, se concentrent ou s’ordonnent sur le portail ouest : quatre ressauts portant quatre rangs de voussures en plein cintre, par l’intermédiaire d’un simple tailloir. Le tympan est nu (il a pu être enduit et peint) et repose sur un linteau massif, d’une pierre de couleur plus claire (il a pu être rapporté). L’ensemble s’inscrit dans un avant-corps, en saillie d’un pied environ. Au-dessus s’ouvre une baie cintrée. Un curieux dispositif relie le portail à la façade sud : au niveau du tailloir de droite commence un lit de pierres minces, faisant contraste avec le grand appareil ; ce lit se poursuit sur la façade sud, où il se double d’une petite corniche qui le surplombe et orne toute cette façade. Ce décor est absent sur le côté gauche du portail et sur la façade nord.
Les deux travées ouest ont servi d’écurie et de grange ; la travée orientale a été transformée en appartement. Cet usage a entraîné quelques modifications (percements supplémentaires, transformation d’une baie cintrée en ouverture rectangulaire) qui ne sont pas irréversibles et ne devraient pas compromettre l’effet général de ce vaisseau, après suppression des cloisonnements et planchers.
L’abside initiale a été remplacée par un chœur monumental de plan carré, prolongeant la nef mais s’élevant nettement au-dessus d’elle. On le date de la fin du XIVe siècle. L’allure extérieure, on l’a remarqué, évoque la fonction militaire de l’ordre, mais l’immense baie ogivale (7 m de hauteur, 2,80 m de largeur, et la base à 1,60 m du sol) qui éclaire, non seulement le chœur, mais, au-delà, le vaisseau de la nef, ne permet pas de parler d’église fortifiée. Une très haute lancette, côté nord, complétait l’éclairage. L’appareil est moins homogène que celui de la nef : grands blocs de granit jusqu’au tiers de la hauteur, moellons de calcaire pour le reste.
La liaison entre le chœur et la nef a été particulièrement réfléchie. La base de la lancette est au même niveau que la base des baies de la nef. Les murs latéraux du chœur ne se situent pas dans l’exact prolongement de la nef, mais s’y articulent en un léger retrait qui fait office de contrefort pour la croisée d’ogives. Côté est, deux contreforts obliques reçoivent cette poussée et soulignent la structure.
À l’intérieur, le chœur carré était couronné par une voûte en croisée d’ogives, dont la clef est sculptée en couronne de feuillage. Les arcs retombent sur des colonnes engagées, par l’intermédiaire de chapiteaux à décor végétal, surmontés d’un boudin dont la moulure est reprise sur les colonnettes qui doublent les arcs.
Ce beau volume est encore masqué par les trois niveaux d’appartements qui l’ont investi au XIXe siècle. Par bonheur, aucun élément structurel n’a été altéré et leur démolition permettra de le retrouver quasi intact.
D’assez nombreux éléments décoratifs subsistent. Dans la nef, un bandeau de rinceaux en grisaille, caractéristique du XVIIe s., sous le départ de la voûte ; il laisse voir par endroits un décor plus coloré et plus ancien. D’autres restes de décors peints invitent à une analyse approfondie. Une crédence, dans le mur sud, est restée intacte. Des inscriptions funéraires du XIIIe s. (1239, 1244, 1248) sont encastrées dans les murs intérieurs et extérieurs. Au nord du bâtiment s’étend un terrain de 1000 m2, dont l’exploration archéologique est envisagée. Au sud, les murs de la chapelle portent encore les traces des bâtiments conventuels disparus.
La Diana s’est engagée ici dans une entreprise de longue haleine, qui permettra de rendre un jour accessible au public un monument majeur et méconnu de l’histoire du Forez.
Les travaux qui ont fait l’objet d’une aide de la Sauvegarde de l’Art français (10 000 € en 2002) ont consisté à parer au plus pressé en refaisant la toiture de ce bâtiment à l’abandon. Le devis initial a été doublé, en raison du parti finalement retenu : la charpente et le lambrissage du XVIIe s. ont été conservés, de façon à ne pas modifier l’aspect intérieur, et une nouvelle toiture a été posée par-dessus, à l’aide de techniques innovantes, sans effet de surélévation.
Ph. M.