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Statut
Souscription fermée

Dès le début du IXe s., le terroir qui constitue aujourd’hui la commune de Laroque-des-Albères (La Roca d’Albera), au pied de la chaîne de montagnes éponyme qui sépare la Gaule de l’Hispanie, fait l’objet de défrichements et d’installations d’hommes, quelquefois par aprision[1]. On y construit des lieux de culte (claustra Sancti Felicis, 875). Un précepte de l’empereur Lothaire y confirme, en 834, les possessions de l’évêque d’Elne. Au cours du même siècle, on voit apparaître le toponyme de Tanyà : selon Aymat Catafau, « cette villa Tanya est d’une grande étendue : c’est en effet sur son territoire que sont indifféremment localisées les deux églises Saint-Félix et Saint-Julien et plus tard le château et le village de La Roca[2] ». Ce château, assis sur le rocher qui donne son nom au site, et ce village naissent aux XIe et XIIe s., par un processus d’incastellamento assez atypique en Roussillon, analysé par le même auteur. L’église paroissiale du village regroupé autour du château de La Roca a conservé le titre de Saint-Félix, tandis que l’église de Tanyà, qui ne correspond plus aujourd’hui à aucun village, est  placée sous l’invocation de Notre-Dame (Nostra Senyora de Tanyà). Mais la plus ancienne mention que nous en ayions sous ce nom ne remonte qu’à 1371[3], alors que l’église de Tanyà est visiblement antérieure. Ces deux églises ne se sont-elles pas succédé en fait dans la fonction paroissiale ? On peut raisonnablement adopter cette hypothèse, l’actuelle église Saint-Félix établie au village de La Roca n’étant pas antérieure au XIIIe ou même au XIVe siècle. Ainsi, Notre-Dame de Tanyà doit être en fait l’église Saint-Félix des XIe-XIIe s., succédant aux édifices cités anciennement et plus tard convertie en un sanctuaire annexe et un lieu de pèlerinage. Des fouilles archéologiques (limitées à quelques sondages), en 2005, ont mis en évidence des vestiges antérieurs à l’église romane sous le chevet[4].

La chapelle de Tanyà est en effet un édifice roman[5], à nef unique, dont l’ abside hémi-circulaire, voûtée en cul-de-four, est précédée de deux chapelles latérales plus petites, elles aussi en forme d’abside et pareillement voûtées. Ce n’est pas véritablement un chevet triconque, puisque l’abside principale a environ le double de largeur et de hauteur que les absidioles. La nef est voûtée en berceau brisé, retombant sur des arcades latérales épaisses plaquées sur les murs gouttereaux. Sans qu’une étude archéologique approfondie ait été entreprise, on pourrait attribuer l’édifice au XIIe s., les sondages de 2005 ayant clairement montré qu’il a été voûté dans un second temps. Sur son mur nord, on peut voir, à l’extérieur une maçonnerie en opus spicatum, caractère généralement admis comme gage d’ancienneté. L’intérieur est entièrement enduit, opération sans doute réalisée au XVIIIe s.

L’église a été agrandie vers l’ouest et présente aujourd’hui deux portails, l’un au sud et l’autre à l’ouest, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations. En effet, la partie augmentée de l’église se différencie nettement – à l’intérieur – par l’épaisseur moindre des murs et de la voûte, ce qui porte assez naturellement à dater cet agrandissement par le millésime qui figure sur la clé de l’arc du portail ouest, 1768. Mais le portail sud, ouvert lui aussi dans cette partie ajoutée de l’église, se présente comme un portail médiéval. Bien que de réalisation assez fruste et peu régulière, il est jouxté d’une sépulture pariétale, avec une plaque armoriée et inscrite, d’un nommé Bernat Garriga (sans doute le châtelain de Laroque) décédé le 10 des calendes de septembre[6] 1298. Cet agrandissement de l’église ne date-t-il pas, dans ce cas, du XIIIe siècle[7] ? En 1768, on se serait contenté d’ouvrir une porte occidentale de manière à faciliter l’accès du sanctuaire ? Sanctuaire de pèlerinage, les vantaux de la porte présentent de petites ouvertures permanentes permettant, portes fermées, la dévotion des passants, ce qui est impossible avec un portail sur le flanc sud.

La façade est surmontée d’un petit clocher-mur à deux arcades, porté par un surcroît de maçonnerie, fruit d’un remaniement, peut-être contemporain du portail ouest. Vendue comme bien national à la Révolution, achetée par un particulier, Notre-Dame de Tanyà a été offerte à la commune à la fin du XIXe siècle.

L’ornement principal de cette chapelle est son retable sculpté, doré et polychrome, belle réalisation de la deuxième moitié du XVIIIe s. qui occupe tout le fond de la nef, occultant l’abside romane. On ne connaît pas l’auteur du retable, mais sa dorure est documentée entre 1771 et 1776[8], ce qui place sa réalisation dans les années précédentes. Il comporte une seule niche centrale, qui abrite la statue de la Vierge (qui ne correspond plus, à ce qu’il semble, à celle vue par Louis Just en 1860), entourée de plusieurs figures d’anges et de nombreux ornements. Il est divisé en trois travées par des colonnes peintes en faux-marbre, portées par deux atlantes, ou esclaves, aux expressions peinées, qui encadrent les gradins d’un tabernacle monumental.

La chapelle a fait l’objet, en 2013-2015, d’une campagne complète de restauration, murs, toiture, enduits et présentation générale, sous la direction de Muriel Sattler, architecte, à laquelle la Sauvegarde de l’Art français a apporté son concours à hauteur de 15 000 €. Le retable a fait aussi l’objet d’une restauration.

Olivier Poisson

Bibliographie :

Just, Ermitages du diocèse de Perpignan, Perpignan, 1860.

Cazes, Le Roussillon sacré, 2e éd., Prades, 1990.

Catalunya Románica, t. XIV, El Rosselló, Barcelone, 1993.

Catafau, Les celeres et la naissance du village en Roussillon (xe-xvesiècles), Perpignan, 1998.

Mallet, Églises romanes oubliées du Roussillon, Montpellier, 2003. 

J.-B. Mathon et M.-P. Subes (dir.), Vierges à l’Enfant médiévales de Catalogne… Suivi de : Corpus des Vierges à l’Enfant (xiie-xve siècle) des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 2013 (coll. Histoire de l’art, 5).

 Notes :

[1] L’aprision est, à l’époque carolingienne, la faculté de devenir propriétaire, au bout de trente ans, d’une terre du fisc inculte que l’on a défrichée.

[2] Catafau 1998, p. 373.

[3] Cazes 1990, p.115.

[4] On peut noter également que l’une des absidioles a sa baie d’axe couverte par un linteau échancré, élément généralement attribué à l’époque pré-romane, et qui peut être un remploi.

[5] Cat. Rom. 1993, p. 334 ; Mallet 2003, p. 265-266.

[6] C’est-à-dire le 23 août.

[7] Les conclusions du rapport de fouilles de 2005 (D. Maso), telles que reprises dans l’étude de M. Sattler, architecte, préalable au projet, ne sont pas très claires. La partie ajoutée de l’église est datée « xive-xviiie s. », ce qui est vague, et le portail sud est considéré comme tardif. Nous pensons quant à nous que sa relation avec la sépulture pariétale de Bernat Garriga est plus probante pour sa datation.

[8] Cf. fiche de classement parmi les monuments historiques, arrêté du 22/05/1978. Base de données Palissy du ministère de la Culture (consultée le 3/09/2018).

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