Normandie, Manche (50)
Gorges, Église Notre-Dame
Édifice
Située au cœur des marais du Cotentin, l’église Notre-Dame de Gorges avait cette particularité d’être divisée en trois portions, chacune desservie par un curé distinct. Le roi avait le patronage de l’une d’elles, confisquée par Philippe Auguste à Thomas de Gorges qui avait opté pour l’Angleterre après la réduction de la Normandie. Une partie était patronnée par l’abbaye de chanoines prémontrés de Blanche-Lande (Varenguebec).
Belle construction homogène du milieu du XIIIe s., en pierre calcaire d’Yvetot-Bocage (près de Valognes) dont le dense réseau navigable des marais a favorisé le transport, cette église subit quelques avaries qui la laisseront toutefois relativement intacte : l’incendie de la voûte en 1613 (remplacée par un berceau de bois puis reconstruite selon les dispositions primitives entre 1856 et 1858) et les bombardements de 1944 (percements sur les murs et les voûtes, lézardes, impacts d’obus). Les petits joyaux de l’art gothique qu’étaient les églises, proches, de Saint-Georges-de-Bohon, Auxais ou Sainteny ne seront, quant à eux, pas épargnés…
Cette église adopte le plan simple d’une modeste église de campagne : nef à quatre travées, chœur à deux travées et chevet plat, sans collatéraux, séparés par un transept saillant coiffé d’un clocher à toit en bâtière. Tout le raffinement de la construction se lit, en fait, dans l’élégante et sobre modénature d’un XIIIe siècle en pleine maturité, à situer dans la lignée directe de la cathédrale de Coutances : chapiteaux des colonnettes de la nef à crochets épanouis accueillant parfois de petits masques grimaçants ; dessin des grandes arcades de la croisée soit moulurées de tores et de cavets, soit à deux rouleaux de profil carré aux angles abattus ; voûte à huit nervures rayonnant autour d’un oculus central ; faisceaux de colonnettes groupées par trois, recevant les ogives du chœur. La tour de croisée s’orne, à l’étage, de quatre arcades géminées dont deux sont ajourées de fines baies. Les colonnettes des angles, la frise de quatre lobes que surmonte une corniche à coquilles, soulignent la finesse de la composition. Enfin, sur le mur pignon, un petit portail formant porche, surmonté d’une fenêtre dont le dessin plus orné révèle l’art du XIVe s., achève de donner tout son charme à cet édifice.
L’intérêt de l’église de Gorges réside également dans la présence de sculptures du XVe s., exceptionnelles tant par leur qualité de sculpture que par leur iconographie. Le groupe en pierre calcaire polychrome, figurant la Vierge de Pitié accompagnée de sept personnages dont les trois Marie, Nicodème, sainte Marie-Madeleine et un donateur ecclésiastique agenouillé, ainsi que la série de statuettes d’apôtres autour de la crucifixion (groupe en cours de restauration), dont le style n’est pas sans rappeler les apôtres du tombeau du cardinal Guillaume II d’Aigrefeuille, au Palais des Papes à Avignon, sont en effet à mettre au crédit de la dignité toute particulière du patronage de l’église. Le grand retable du chœur s’orne d’une monumentale Vierge à l’Enfant, également en pierre (XVIIe s.), sauvée de la vindicte révolutionnaire par l’heureuse initiative d’un seul homme, qui la descendit de son piédestal et la cacha jusqu’à la reprise du culte.
La commune a réparé d’urgence la face ouest du clocher en 1995. En 2001, la Sauvegarde de l’Art français a accordé une aide de 15 245 € pour la restauration des bandeaux et corniches hautes du clocher sur les faces nord, sud et est.
É. R.
Bibliographie :
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Chanoine A.-F. Lecanu, Histoire du diocèse de Coutance et d’Avranches, t. II, Coutances, 1878, p. 350.
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G. Thiboult, « L’église de Gorges », Congrès archéologique de France, CXXIV, 1966, Cotentin et Avranchin, Paris, 1966, p. 251-254.
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