Occitanie, Pyrénées-Orientales (66)
Corbère, Chapelle Saint-Père del Bosc
Édifice
Ancienne église Sant Pere del Bosc. L’histoire du lieu de Corbère (Corbera, en catalan, qui désigne un lieu élevé, que ce soit par l’étymologie courante évoquant l’habitat des corbeaux ou celle, pré-latine, de quer-, cor-, le rocher), en tant qu’établissement humain, est aujourd’hui inscrite dans le paysage où se lit sans peine une lente migration sud-nord du lieu habité : d’abord au creux d’un vallon le site de l’église Saint-Pierre, entouré d’un cimetière, et d’un habitat que l’on imagine avoir été plus ou moins lâche, aux Xe et XIe siècles, puis le château sur la hauteur, et sur son flanc immédiat au sud, le premier village, Corbera d’Amunt, une cellera castrale contrôlée par le seigneur où la population se regroupe, peut-être contrainte. Puis, au-delà, sur l’autre versant, la création progressive aux temps modernes d’un nouveau Corbera, dit aussi del mig, du milieu. Enfin, du XVIIe au XIXe s., la formation d’un troisième village, plus au nord, au passage de la route principale de la vallée de la Têt, village marqué par la présence d’un relais qui lui donne son nom : c’est Corbera la Cabana, qui obtiendra son indépendance communale en 1856, tandis que le village castral sera, lui, définitivement déserté après la seconde guerre mondiale. Le lieu de culte a suivi le même chemin : après l’église romane, sinon abandonnée du moins réduite aux fonctions funéraires, c’est la chapelle du château, située non loin de celui-ci sur le haut du site, qui est transformée et agrandie au milieu du XVIIe s. pour devenir la paroisse. Elle est à son tour délaissée au XIXe s. pour une nouvelle église à Corbera del Mig, tandis que près de la Cabana, une nouvelle église, Sainte-Madeleine, apparaît au XVIIIe s., elle est reconstruite à la fin du XIXe. Cette séculaire «glissade» vers le nord du lieu habité explique bien sûr le caractère isolé et délaissé de l’église primitive (spoliée même de ses blocs, taillés ou porteurs d’inscriptions, selon L. de Bonnefoy), objet de cette notice et sauvée in extremis par d’importants travaux.
Au Moyen Âge, bien que des donations à l’abbaye de Cuxa de divers biens situés à Corbera soient attestées dès le Xe s., la puissante abbaye ne domine pas le lieu, éponyme d’une famille de chevaliers à laquelle on doit attribuer l’imposant château féodal toujours conservé qui domine le site. Quant à l’église paroissiale, Saint-Pierre (Sant Pere), elle est citée dans un privilège du pape Alexandre III confirmant les biens de l’abbaye de Saint-Martin du Canigou, en 1163. Ce document est la plus ancienne mention de cette église et peut s’appliquer à l’édifice qui nous est parvenu.
Il s’agit d’une église plutôt simple, vaisseau unique de plan rectangulaire, voûté en berceau brisé, prolongée par une abside voûtée en cul-de-four brisé lui aussi, bâti en moellons de schiste, sans décor architectural à l’exception du portail. L’édifice a cependant d’assez belles dimensions, 22 mètres de long en tout. Une partie du mur nord n’est pas homogène par rapport au reste de la construction, et présente un appareil en opus spicatum que l’on attribue généralement à une époque plus haute : il peut s’agir d’un reste d’un édifice précédent. Le reste des maçonneries est en moellons grossiers de module variable mais régulièrement assisés. Les angles extérieurs de la nef et de la courte travée de chœur, à leur raccordement avec l’abside, sont appareillés en blocs taillés avec soin, de même que la fenêtre d’axe de l’abside, à double ébrasement. Au-devant de la façade ouest, on remarque les restes ruinés d’un porche, où des vestiges de voûtes peuvent faire penser à des enfeus médiévaux, même s’il en reste trop peu pour se prononcer affirmativement. Joan Badia y voit les restes d’une église précédente, pré-romane, mais une étude archéologique détaillée reste à entreprendre. Le portail de l’église est un bel ouvrage de marbre rose de Villefranche-de-Conflent, typique du style des ateliers roussillonnais du XIIe s., sans le moindre décor ou ornement. Une simple archivolte parfaitement appareillée, extradossée d’un cordon saillant, couvre une baie simple, munie d’un tympan lisse. Les impostes sont simplement moulurées en cavet. On a souvent remarqué que le tympan monolithe porte directement sur les piédroits, sans l’intermédiaire d’un linteau. Cette formule est loin d’être inconnue dans la région (c’était le cas du célèbre tympan sculpté de Cabestany), mais indique plutôt une date de la fin du XIIe siècle. Avant les travaux, le tympan, spectaculairement brisé en son milieu, était en équilibre instable. Il porte encore quelques lettres d’une inscription peinte à l’ocre rouge, que Louis de Bonnefoy avait pu lire encore, au milieu du XIXe siècle : Lo retaule se posa a X de desembre 1544 (le retable a été posé le 10 décembre 1544).
Sur le flanc nord, ce qui paraissait, avant les travaux, comme un épais contrefort, s’est révélé comme le vestige d’un clocher-tour accolé à l’église, qu’on peut imaginer antérieur à elle, qui semble s’être plaquée contre lui. C’était une construction puissante, aux murs épais, et complètement arasée. Les travaux réalisés l’ont remontée sur 2 mètres de haut environ, et l’on a, pour la dégager du terrain en surplomb, jugé utile d’aménager un mur de soutènement en parpaings enduits assez disgracieux. L’ensemble qui en résulte n’est ni authentique, ni heureux, ni utile. L’église est aujourd’hui dotée d’un simple clocher-mur, à deux arcades, juché sur le mur ouest et dépourvu de cloches.
L’église Sant Pere del Bosc est restée de très longues années à l’abandon, en tout cas depuis l’époque où le village de Corbera d’Amont a été peu à peu déserté et où le cimetière qui l’entoure a cessé d’être utilisé. Déjà, vers 1860, Louis de Bonnefoy la décrivait ainsi : «On cherche vainement le retable à l’intérieur de l’édifice, tout y est dévasté ; les murailles ont perdu même partie de leur revêtement de calcaire rouge. La voûte se crevasse et n’abrite plus que deux tombes récentes». Elle fut même vandalisée, et les sépultures modernes qui se trouvaient à l’intérieur furent violées et profanées. Des désordres structurels apparus à la voûte et à la façade laissaient penser qu’une ruine définitive de l’édifice était proche. Depuis 1996 cependant, l’Association pour la sauvegarde du patrimoine des deux Corbère a entrepris une tâche remarquable, avec le renfort de nombreux bénévoles, et cette action a abouti à des travaux de consolidation, de drainage, et de réfection complète des couvertures en lauzes de schiste. L’édifice a été fermé d’une grille, et constitue un but de promenade.
Pour le drainage et la reprise des murs du chevet, la Sauvegarde de l’Art français a apporté une aide de 2 200 € en 2004.
Olivier Poisson