Occitanie, Pyrénées-Orientales (66)
Collioure, Ancienne église Saint-Dominique
Édifice
François et Dominique se sont peut-être rencontrés à Perpignan en 1211[1], au moment où ils fondaient et commençaient de développer leurs ordres respectifs. Mais les maisons dominicaines ou franciscaines ne sont attestées à Perpignan que dans les années 1240, et, à Collioure, c’est la volonté du roi de Majorque, Jacques II, qui provoque la fondation du couvent des Dominicains en 1290. A tout le moins, celui-ci conforte la générosité du mécène, Guillem Puig d’Orfila, qui a donné terrain et maisons pour établir la communauté, par la constitution d’une rente au profit du nouvel établissement, acte qui est la plus ancienne mention connue de ce couvent[2]. Cette fondation, ratifiée par le chapitre de la province dominicaine de Provence en septembre 1290, avait été précédée de l’envoi de deux religieux quelque temps auparavant, pour lesquels le même Guillem Puig d’Orfila avait financé deux lits à l’hôpital de Collioure pour les recevoir. Ce fondateur était issu d’une puissante famille de Collioure, seul port du Roussillon, qui avait reçu sa part de la conquête des Baléares par Jacques le Conquérant, en 1228, à laquelle elle avait contribué. En cette fin du XIIIe s., troublée par la « croisade d’Aragon », Guillem Puig d’Orfila était semble-t-il l’un des proches conseillers du roi.
On ne sait rien de la construction du couvent et de son église, qui a logiquement eu cours dans les années suivantes, au XIVe siècle. La seule consécration dont on ait gardé trace a lieu en 1457, le 10 juillet[3] et concerne une reconstruction ou une importante restauration, à moins qu’elle ne soit une cérémonie tardive pour l’édifice primitif, ce qui arrive quelquefois. L’histoire dominicaine parle en effet d’un évêque qui prit l’habit dans ce couvent et réalisa cette consécration, occasion peut-être mise à profit, alors que les vicissitudes du siècle précédent (guerre et disparition du royaume de Majorque en 1342-1344, peste Noire en 1348) avaient peut-être obligé à l’ajourner.
Aujourd’hui, l’église est difficile à examiner en détail à cause de son occupation, comme on le verra plus loin. On est devant une église à nef unique couverte en charpente sur arcs diaphragmes, de sept travées, à laquelle il manque l’abside. Ses dimensions sont importantes, ayant une largeur de 14,50 m et une longueur de 32 m. Elle est orientée au sud, en raison de la topographie du site. Les travées comportent des chapelles latérales voûtées, ajoutées par la suite entre contreforts. La façade est sans ornement, si ce n’est un beau portail ogival en marbre blanc, qui accuse le XIVe s. : un grand arc en tiers-point animé d’un ressaut mouluré, souligné d’un bandeau à l’extrados retombant sur des culots. Les claveaux ont une grande longueur (ici environ un mètre), topique de l’architecture catalane des XIVe et XVe siècles. A droite du portail, on remarque deux enfeus en marbre sommés d’armoiries, l’enclos précédant l’église ayant constitué, selon Eugène Cortade, un cimetière où étaient accueillis des laïques faisant élection de sépulture aux Dominicains.
Le cloître et les bâtiments du couvent prenaient place à l’ouest de l’église, mais ils ont subi transformations et destructions et ne sont plus aujourd’hui reconnaissables. Le couvent des Dominicains de Collioure a en effet connu une vie monastique sans interruption jusqu’à la Révolution, rythmée cependant par les événements qui ont affecté Collioure : en particulier, les travaux ordonnés par Vauban en 1672 avaient, pour constituer les nouveaux glacis de la place-forte, rasé une partie de la ville, avec l’église, l’hôpital et la maison commune. La reconstruction d’une église paroissiale, sur les brisants du port, n’eut lieu qu’à partir de 1684, jusqu’en 1691. Dans l’intervalle, l’église des Dominicains servit tant bien que mal d’église pour la ville, y compris pour la tenue de ses assemblées politiques. Au XVIIIe s., l’effectif du couvent tourne autour de cinq pères, avec quelques convers ; plusieurs d’entre eux assurent des fonctions d’aumônier pour les garnisons des environs (le fort Saint-Elme) et, d’autre part, une partie du couvent, disponible, est louée à l’armée. En 1790, lors de la suppression, il n’y restait, semble-t-il, que deux religieux, peut-être trois. Alors que les objets du culte étaient répartis dans les paroisses voisines – c’est ainsi que se conserve à l’église de Collioure un fragment de retable du XIVe s., représentant la Rencontre de saint François et de saint Dominique[4] –, les bâtiments et dépendances du couvent furent vendus en au moins huit lots, entre le 9 novembre 1790 et le 18 août 1791[5]. Le cloître se trouvait sur le flanc ouest de l’église. Une galerie en a subsisté jusqu’en 1927, cloisonnée et convertie en atelier de salaison d’anchois. Vendue à un antiquaire, elle fut en partie démontée, puis classée monument historique par décret du 5 mai 1928. Mais, la situation restant sans solution possible sur place, l’administration finit par autoriser, en décembre 1931 (tout en maintenant le classement), la vente et le remontage de la galerie dans une belle propriété du Pays Basque, à Anglet. En 1992, ses éléments ont pu être acquis et revenir à Collioure[6], sans toutefois reprendre leur place primitive : on peut les voir depuis 1995 dans le parc Pams, non loin de l’église, mais du côté opposé de celle-ci par rapport à leur emplacement d’origine. Il s’agit d’un cloître du XIVe s., en marbre blanc, à supports doubles, dont les arcs brisés sont animés de remplages trilobés. Les chapiteaux sont décorés de feuillages ou de thèmes végétaux, pour la plupart.
Lors de la vente des biens nationaux, l’armée – qui occupait déjà une partie du couvent avant sa suppression – s’était réservé l’église, dont elle fit un atelier et un dépôt. Ces usages devenus inutiles, elle la mit en vente et la céda en 1926 à une société coopérative vinicole, pour y établir un chai, qui s’y trouve toujours. L’ensemble du volume de l’église est depuis cette date occupé par des cuves de vinification en béton armé, tandis que le couvrement de la nef reste visible au-dessus, à un étage où est utilisée une tonnellerie en bois. L’ancienne église est ainsi investie, mais non détruite, par cet usage, le seul dommage étant le percement du mur extérieur d’une chapelle pour établir un quai d’apport de la vendange.
A la hauteur de la quatrième travée, du côté est, se situe le clocher, simple fût carré en maçonnerie aujourd’hui surmonté d’un étage moderne, remontant au XVIIe ou au XVIIIe siècle. L’histoire dominicaine déjà citée rapporte que le clocher primitif du couvent était sommé d’une boule en étain contenant le document de fondation et la lettre du roi de Majorque, mais qu’en « 1590, un violent coup de vent secoua le clocher, emporta le parchemin qui s’envola et disparut à tout jamais ». L’étage des cloches, qui n’en comporte aucune, est une loge ouverte sur ses quatre faces, couverte d’une petite coupole en maçonnerie revêtue d’enduit. Cette partie de l’édifice étant en très mauvais état, elle a fait l’objet d’une campagne de restauration prioritaire à laquelle la Sauvegarde de l’Art français a pu contribuer en 2013 en lui accordant 5 000 €.
Olivier Poisson
Notes
[1] O. Poisson, « La rencontre de saint François et de saint Dominique », dans Les Dominicains de Perpignan, Perpignan, 1995, p. 53-58.
[2] A. Cazes, Le Roussillon sacré [2e éd.], Prades, 1990, p. 96. E. Cortade, Le monastère des Dominicains de Collioure, Prades, 1983.
[3] Date donnée par Diago, Historia de la provincia de Aragon de la orden de Predicadores, Barcelona, 1599, p. 273 (d’après Cortade).
[4] voir note 1.
[5] E. Cortade, op. cit., p. 31.
[6] Ce n’est pas, cependant, la totalité de la galerie ayant subsisté jusqu’en 1925, un certain nombre d’éléments ayant pu être emportés avant le classement MH. Deux chapiteaux en provenant ont pu être rachetés en vente publique à New York en 2004.
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