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Restauration de la maison cruchet
interview d’Hugues Losfeld, restaurateur
Un peu d’histoire
L’immeuble du 22 rue de Douai se situe à la lisière de la Nouvelle Athènes, un quartier qui, dès la seconde moitié du XIXe siècle, commença à s’éloigner de son caractère rural originel. À cette époque, bien que Montmartre restât un village isolé et que les faubourgs de Paris se développaient, cette zone gardait encore un aspect verdoyant et boisé. La rue de Douai elle-même ne fut percée qu’en 1841, et les bâtiments qui y furent érigés résultaient d’initiatives individuelles sans coordination planifiée.
Ce quartier attira de nombreux artistes, en partie grâce à son accessibilité financière, engendrant un dynamisme culturel notable dès les années 1840-50. Parmi ces artistes, on trouve Michel-Victor Cruchet (1815 – 1899), un ornementaliste de talent et sculpteur sur bois, qui fut responsable de la construction de cet immeuble emblématique. Cruchet, troisième représentant d’une lignée d’artisans-artistes, se distingua par l’utilisation et le développement d’une technique innovante inventée par son père : le carton pierre. Cette innovation contribua grandement à sa fortune et à sa renommée. Ainsi, l’immeuble du 22 rue de Douai ne représente pas seulement un héritage architectural, mais aussi l’histoire d’une famille d’artistes et d’une époque où le quartier vivait un renouveau artistique et culturel.
Hugues Losfeld, qui a restauré le porche de l’immeuble situé au 22 rue de Douai, partage ses perspectives sur le processus de restauration ainsi que sa vision du métier de restaurateur.
Quel a été votre parcours ? Pourquoi avoir choisi ce métier ?
À l’âge de 22 ans, je suis parti apprendre le métier de peintre en décor dans le célèbre atelier de l’Institut Supérieur de Peinture Van der Kelen à Bruxelles qui enseigne depuis 1882 les techniques ancestrales de peinture. Elle correspondait parfaitement à mon souhait de peindre dans la lignée des peintres ornemanistes du XVIIIe siècle qui me passionnent depuis l’enfance.
Après avoir achevé ma formation médaillé d’argent en 2008, j’ai souhaité approfondir celle-ci auprès d’anciens élèves de l’école et de restaurateurs de peintures murales.
La même année, j’ai créé mon atelier qui fête donc cette année ses quinze ans.
En 2021, j’ai reçu la médaille d’or de l’École Van Der Kelen pour mon parcours professionnel dans la continuitéde l’enseignement de l’école et reçu l’année suivante le titre de maître artisan d’art qui distingue les artisans d’art pour leur savoir-faire mais aussi et surtout pour leur volonté de transmettre et faire rayonner leur discipline.
Ma motivation première dans le choix de mon métier a été mon goût pour le patrimoine français et les grands décors, classés MH ou non, et le désir d’apporter ma contribution dans la préservation et la restauration du patrimoine, et plus particulièrement le patrimoine mural peint.
Ce qui m’anime, et c’est d’ailleurs l’orientation que j’ai souhaité donner à mon atelier, c’est de pouvoir mener une restauration ou une restitution (c’est-à-dire recréer un décor qui n’existe plus à partir de quelques éléments parvenus jusqu’à nous) et redonner à une pièce – ou à un ensemble, l’aspect qu’elle aurait conservé depuis sa création et rendre l’intervention du peintre soit quasi invisible.
J’aime aussi le travail en équipe et l’aspect un peu nomade de mon métier puisque les divers domaines d’intervention de l’atelier, intérieurs classiques XVIIIe ou XIXe de châteaux, hôtels particuliers, privés ou publics, et d’églises, m’amènent à me déplacer dans toute la France.
La richesse du patrimoine français est telle que chaque chantier me conduit à me mettre dans la peau d’un peintre, d’une l’époque et d’une région précises pour coller au plus près de leur style.
Parlez-nous du chantier conduit avec la Sauvegarde pour la restauration du porche ?
Entre la propostion du projet et et la fin du chantier, plus d’une année a passé ; il est en effet important de travailler en étant à l’écoute de tous les acteurs et bien sûr de l’architecte en charge du chantier.
Comme il s’agit d’un décor de Victor Cruchet, célèbre décorateur du Second Empire, il a fallu trouver des intervenants à la hauteur du projet. Il était notamment crucial de travailler avec un staffeur de talent. En effet, si les cartons-pierre avaient à 80 % résisté à l’épreuve du temps, une bonne partie avait souffert de dégâts des eaux et des intempéries. Le carton-pierre, mélange de cellulose et de plâtre (proche du papier maché) étant très réactif à l’eau, certains éléments avaient été complètement désagrégés et seules les couches de peinture maintenaient encore les bas-reliefs.
Pour plus de perennité, il a été décidé de le remplacer par du staff, et donc tout comme pour le choix des peintres, il fallait un staffeur qui comprenne à la fois l’enjeu de la restauration et la restitution.
C’est Alexandre Lefèvre, staffeur ornemaniste qui a relevé ce défi.
Pour la peinture, quoiqu’en extérieur, nous avons décidé de travailler avec les mêmes techniques à l’huile qu’à l’époque, de la préparation jusqu’au décor. Les staffs et enduits ont été saturés d’huile de lin pour l’adhérence et la solidité des supports. Pour protéger les décors une fois achevés, nous avons pu les cirer comme il était alors d’usage. Le chantier ayant duré 6 mois, le support était suffisamment sec pour supporter une cire alors qu’un vernis de protection aurait eu pour conséquence de jaunir au fil du temps.
Une équipe de trois peintres en bâtiment et cinq peintres en décor se sont succédés tout au long du chantier.
Que pouvez-vous nous dire à propos de l’étude avant chantier et des découvertes réalisées à cette occasion ?
On a dû s’adapter de A à Z.
L’harmonie des couleurs s’est faite au fur et à mesure des découvertes.
Allant de surprise en surprise, l’architecte Coralie Robert a été le pivot pour faire les différents choix qui s’imposaient en concertation avec M. de Rohan-Chabot (président de la Sauvegarde de l’Art Français) et M. Bonneval (directeur de la Sauvegarde de l’Art Français ; le tout en accord avec la D.R.A.C.
Une série d’anciens sondages stratigraphiques avaient été effectués et l’ensemble du projet avait été basé sur ceux-ci. Cependant au fur et à mesure de l’avancée du chantier, certaines hypothèses ont été écartées et d’autres découvertes comme la présence systématique du fameux Campan vert, prévue à l’origine uniquement sur les tablettes des pilastres, nous a conduit à le restituer sur l’ensemble des stylobates de la corniche et aux écoinçons encadrant les mascarons à tête de femme, modifiant ainsi l’harmonie des couleurs imaginées initialement.
Les choix d’effets de matière ont aussi évolué. Alors que les colonnes et les pilastres, devaient être en faux marbres peints de couleur violacée, type « fleur de pêcher », pour remplacer la peinture faux marbre orange datant de la dernière restauration (vers 1980), nous avons eu la surprise de trouver sous ce faux marbre cette fameuse finition « fleur de pêcher » mais… sous forme de stuc-marbre !
Dans quel état étaient ces stucs marbres? Étaient ils lacunaires ? Pourquoi avaient-ils été recouverts ? Autant d’interrogations, de discussions et de décisions risquées mais passionnantes.
La dominante verte et beige rosée s’est imposée face aux projections que nous avions imaginées plus beige ocre et orangé.
Pour la base des chapiteaux, nous avons choisi de reprendre la patine dorée « canon de fusil » d’origine, cette patine très particulière au XIXe siècle imitant la dorure mais sans or. Pour la réaliser, on utilisait de la poudre de bronze appelée bronzine. Ce pigment longtemps employé au XIXe a été abandonné car son oxydation lui faisait perdre tout son éclat doré jusqu’à le rendre verdâtre.
Considérant que cette patine était tellement représentative de cette époque, nous avons fait le choix de la recréer, non pas avec de la bronzine mais en employant un or minéral inoxydable, à base de quartz et de nacre. Ainsi, le haut et la base des pilastres du passage cocher de la maison Cruchet ont retrouvé leur patine initiale. Un comble que d’imiter… une imitation de dorure.
Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier ?
La variété, travailler différents styles.
À chaque fois, cela représente un défi, une remise en question, réfléchir au premier décor, à l’ensemble général…
Découvrir de nouveaux styles, de nouvelles couleurs, restituer des décors en évitant d’y ajouter sa « patte personnelle », et se mettre au service du peintre de l’époque ou du commanditaire initial.
La création m’attire également, et à l’appui de mes expériences sur les chantiers patrimoniaux, il me plaît à penser que je créerai de beaux décors qui traverseront, je l’espère, eux aussi les siècles.