Rencontre avec Marc Huynen, président et fondateur d’Églises Ouvertes
Marc Huynen a créé en 2007 une fondation en Belgique visant à ouvrir les églises et les rendre accueillantes.
Aujourd’hui, la Fondation Églises Ouvertes travaille avec 338 églises, souvent rurales, en Belgique, mais aussi en France et au Luxembourg.
Rencontre.
A quel besoin répondez-vous?
La pratique religieuse a beaucoup changé. En Belgique, seuls 5% à 7% des gens pratiquent leur religion d’une manière traditionnelle et suivie. Pour autant, une grande partie de la population est encore très attachée au patrimoine religieux qui la plupart du temps n’est pas accessible. Or, dans l’Église, on a l’impression qu’il y a d’abord une gestion humaine des églises établie en fonction du nombre de prêtres disponibles. Ceux-ci étant moins nombreux, de plus en plus d’églises sont délaissées et toujours fermées.
Aussi, au lieu d’attirer les fidèles, les églises les en excluent ! Nous désirons transmettre ce patrimoine, notre héritage, aux générations futures, mais comment y arriverons-nous si les églises sont hors de portée de la jeunesse ? Les églises doivent redevenir des centres de rassemblement accueillants pour tous.
une action complémentaire de celle d’une association comme la Sauvegarde
En France, il existe de nombreuses églises ouvertes, un peu partout. Cependant, il n’y a pas d’organisme fédérateur qui permettent de donner un poids et une envergure à ces nombreuses et bonnes initiatives locales, qui peinent à perdurer plus de deux ou trois ans. La Sauvegarde de l’Art Français permet la restauration des églises, mais si elles ne sont jamais ouvertes et qu’elles ne servent à personne, c’est peine perdue. En Angleterre, en Italie, en Allemagne…, la question de l’avenir du patrimoine religieux est la même.
Avec Églises Ouvertes, nous faisons quelque chose de très simple quoique de très organisé. Nous avons une action complémentaire de celle d’une association comme la Sauvegarde et nous permettons le maintien de l’ouverture et de l’usage des églises, même sans la présence régulière de prêtres. Car si l’on parvient à faire en sorte que les gens se réapproprient ce patrimoine, à leur montrer combien il a du sens, à leur faire découvrir sa beauté, très vite, ils deviennent passionnés.
Vous avez créé Églises Ouvertes. Comment le projet est-il né ?
A l’origine, je n’avais pas d’attrait pour le patrimoine religieux. Mais il y a quelques années, on m’a demandé de devenir membre de la Fabrique de la paroisse d’une église qui était ouverte à peine une heure par semaine. J’ai refusé, car je ne voyais pas l’intérêt de m’investir pour une église fermée la plupart du temps.
Je me suis souvenu d’un voyage que j’avais fait en Finlande quelques années plus tôt. J’avais alors découvert un organisme d’églises « ouvertes », qui permettaient de rendre accueillantes et chaleureuses les églises, même les plus sobres. Les églises protestantes, souvent dépouillées, étaient pourtant rendues plus chaleureuses que bien des églises catholiques. C’était extraordinaire ! Cela m’a marqué et j’ai alors proposé à la paroisse de créer un projet similaire à ce que j’avais vu en Finlande.
Nous avons donc organisé une réunion avec les paroissiens. La plupart étaient effrayés par notre projet et se demandaient pourquoi nous ne voulions pas concentrer nos efforts sur leur église au lieu de chercher dès le début à fédérer d’autres églises.
La première année, en 2007, nous avons mis en place notre structure : nous avons réfléchi à une charte, créé un site internet, des plaques à fixer sur les édifices, fait faire un logo et des brochures etc. Nous avions un capital qui nous permettait de survivre trois ans. C’est le temps que nous nous sommes fixés pour tester notre projet. Nous avions prévu d’arrêter si nous n’avions pas de résultat au terme de ces trois années.
Une fondation indépendante
On a contacté les communes, couru les réunions de maires, les évêchés aussi. Dès le début nous voulions que la Fondation soit indépendante, de l’Église catholique notamment, pour permettre à tous les cultes de participer.
On a présenté notre projet lors de nombreuses réunions, et on a fait attention à démarcher l’ensemble du pays. Nous voulions que notre projet soit accessible à tous. Cela a tout de suite très bien marché et nous avons eu une centaine de membres. Ce fut le début d’un réseau.
Il est essentiel, pour rendre des initiatives pérennes et efficaces, de proposer un accueil de qualité qui mette en valeur le patrimoine religieux.
Comment fonctionne votre projet ?
Si les maires démarchés sont d’accord, on leur demande d’organiser une réunion publique réunissant les responsables communaux et paroissiaux qui sont en général intéressés car on leur propose enfin un projet pour leur patrimoine religieux. Sont invités aussi les organismes de tourisme, les associations culturelles afin qu’elles puissent intégrer ce projet dans leur offre, et tous ceux qui peuvent utiliser l’église d’une manière ou d’une autre. Nous réalisons qu’il faut que le projet soit porté par toute une communauté pour réussir.
Ces outils ont d’abord pour but d’encourager les gens à entrer dans l’église.
La cotisation que nous demandons à nos membres est assez importante. A ce jour, elle est de trois cent cinquante euros pour les nouveaux membres, et de cent soixante-quinze euros les années suivantes. Nous pensons qu’une cotisation importante engage les partenaires et les implique donc davantage. Les partenaires attendent aussi un retour à la hauteur de leur cotisation, ce qui nous engage aussi.
Nous leur envoyons donc un équipement : une bannière « église ouverte » à fixer en vue à côté de l’église, une plaque avec notre logo, le nom de l’édifice, les horaires d’ouverture et un QR code[1]. Ce dernier renvoie à notre site et donne accès à une présentation générale de l’église en quatre langues (français, néerlandais, anglais et allemand) et l’explication de six éléments remarquables de l’édifice, bien répartis afin d’encourager la visite. Six éléments, car nous n’avons pas pour objectif de faire une visite exhaustive de l’église, mais de donner quelques pistes de lecture. Six éléments, c’est la moyenne de ce que les gens peuvent retenir.
Nous leurs donnons aussi un livre d’or un peu luxueux et un livre de dessin pour les enfants. Nous avons remarqué que la présence d’une table d’enfants pour dessiner, encourage la venue des familles et des enfants qui sont ainsi plus intéressés. C’est une activité qui les rend disponibles et à l’écoute. Et cela fonctionne incroyablement ! Plusieurs de nos partenaires ont même organisé des expositions avec les dessins des enfants.
Nous souhaitons proposer des choses peu coûteuses et ultra simples mais très efficaces. Nous essayons de nous mettre à la place des responsables d’églises pour répondre à leurs besoins.
Sur notre site Internet, nous présentons chaque église, avec le contact du responsable, les horaires d’ouverture, les événements, la description générale et les six éléments en quatre langues, les circuits, les liens vers le site de la paroisse etc.
Vous devez avoir une équipe assez importante pour gérer tout cela…
J’ai pris conscience dès l’origine que notre projet était d’abord un projet de communication. La première salariée de notre association, Martine, est graphiste de profession. Elle a tout de suite compris l’intérêt du projet et travaille maintenant pour nous à temps plein.
Puis nous ont rejoints une puis deux historiennes de l’art. Nous travaillons aussi avec deux journalistes dont l’un est connu à la télévision. L’intérêt d’un journaliste de télévision est qu’il sait rendre accessible un contenu au plus grand nombre, en le synthétisant et en le mettant en valeur. Ce sont eux qui écrivent les présentations des églises, tandis que les membres rédigent la présentation des six éléments qu’ils veulent mettre en valeur.
Nous envoyons ensuite un photographe professionnel pour prendre des clichés attrayants de l’église. Nous cherchons à garantir une qualité constante à nos adhérents et visiteurs.
Le financement de la fondation est assuré par un tiers de cotisations des membres, un tiers de subventions régionales et parfois européennes, et tiers de dons et de mécénat. Parfois nous avons du mal à tenir le budget, et au moment où l’on est dépassé arrive un don qui nous permet de repartir !
Nous souhaitons proposer des choses peu coûteuses et ultra simples mais très efficaces.
Avez-vous un souvenir marquant à nous raconter concernant votre travail au sein de l’association?
Dans la paroisse qui a été à l’origine de notre projet, des gens ont proposé au début que l’on répare deux statues de gisants et qu’on les mette en valeur. Mais le coût de cette restauration était de quatre mille euros. Nous avons donc fait un « toutes boites »[2], c’est-à-dire une belle lettre de présentation de notre projet, qui était de mettre en valeur l’église, de l’ouvrir et dans ce cadre de restaurer les gisants. Les quatre mille euros ont été très rapidement trouvés ! Ce projet a fonctionné car il impliquait l’ouverture de l’église. Souvent les gens sont intéressés par le patrimoine religieux mais s’en sentent exclus. Alors ils s’en désintéressent et ne réagissent plus que lorsqu’on leur annonce la démolition de l’église. Mais c’est trop tard. On nous sollicite souvent pour lutter contre la démolition d’une église, mais dans ces cas-là, je réponds qu’à ce stade, nous ne pouvons plus rien faire. Notre action se situe bien en amont.
Comment suivez–vous vos adhérents ?
Les historiennes de l’art sont en relation constante avec les responsables d’églises adhérentes, avec lesquels elles organisent des rencontres, des réunions sur des thèmes spécifiques liés à l’accueil, à la sécurisation des œuvres, aux activités avec les jeunes etc. Nous organisons aussi les journées des Églises Ouvertes le premier week-end de juin pour attirer l’attention des media qui relaient très bien l’information.
On y invite nos membres mais aussi toutes les églises désirant participer. Cette année, nous avons eu six cent participants et quatre-vingt-dix mille visiteurs. D’année en année, les gens nous connaissent et attendent l’événement. A la suite de cette manifestation, nous envoyons à tous nos adhérents un questionnaire. On leur demande le nombre de visiteurs, le nombre de bénévoles impliqués, si les outils qu’on leur a fournis leur ont été utiles…
Cela nous permet d’établir un rapport annuel sur l’ensemble de nos membres. Nous ne pouvons pas visiter nous-mêmes chacune des églises partenaires car nous en avons trop, mais nous profitons des journées des Églises Ouvertes pour en voir un certain nombre.
Quel conseil donnez-vous à ceux qui se battent pour l’entretien et la mise en valeur des églises?
Il est essentiel, pour rendre des initiatives pérennes et efficaces, de proposer un accueil de qualité qui mette en valeur le patrimoine religieux. En général, les gens nous disent qu’ils manquent d’argent pour participer à notre projet. Nous leur rétorquons que lorsqu’on n’a pas de projet, de fait on n’a pas d’argent.
Nous, nous avons dès le départ voulu avoir une communication hyper positive afin d’encourager les participants. Et ça marche à fond ! Quand nous avons de nouveaux membres, nous leur conseillons de ne pas se mettre des objectifs trop lourds, qui risqueraient de ne pas être atteints tout de suite et d’être décourageants, mais d’avoir des projets à long terme, permettant des progrès réguliers sur plusieurs années.