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« La Donation du rosaire » de Saint-Laurent-sur-Oust : interview de Justyna Verdavaine, restauratrice
La donation du Rosaire à sainte Catherine de Sienne et saint Dominique, découverte par deux étudiantes engagées dans la campagne du Plus Grand Musée de France en 2018, a été restaurée par Justyna Verdavaine de l’atelier OCRE et Kiriaki Tsesmeloglou de l’atelier K-solutions.
La toile, datée du milieu du XVIIème siècle, était oubliée depuis des années dans le grenier du presbytère. Très dégradée, l’œuvre retrouve son éclat et révèle la richesse de son iconographie.
Dans quel état était l’œuvre au début de la restauration ? Quel constat d’état avez-vous dressé à la réception de la toile dans votre atelier ?
Ce qui a facilité les opérations pour la couche picturale, c’était l’adhésion de cette couche au support. On n’avait pas de problèmes liés aux soulèvements, qui peuvent compliquer les opérations. Après le nettoyage on a découvert une magnifique palette.
Le constat d’état montrait que l’œuvre était en péril, en train de se dégrader et ayant subi un nombre d’altérations qui ont été menaçantes pour son avenir. La toile était libre, sans structure portante. Cependant les services techniques de la mairie ont fabriqué une caisse qui a facilité la manipulation en évitant de rouler et dérouler la toile déjà abîmée. Dès le début, la municipalité était à l’écoute et suivait nos conseils.
La toile était très peu lisible. Matériellement, l’adhérence n’était pas mauvaise malgré tous ces dégâts et ces années de conservation sans châssis et enroulée, oubliée. Ça donnait l’impression que les personnes qui se sont occupées de la toile durant des années la voyaient comme condamnée, mais personne ne voulait être responsable de sa destruction. La restaurer nécessitait beaucoup de volonté et de courage, surtout qu’il était difficile de faire un diagnostic sur la toile. La municipalité était cette fois mieux conseillée avec le CAOA Diego Mens et les restaurateurs pour ce chantier.
J’ai constaté que la toile a subi des dégâts importants dans la partie inférieure à cause de l’humidité, beaucoup plus abimée, avec une grande lacune. Le bas du tableau était quasiment mangé. La toile présentait un flétrissement. Au milieu il y avait une grande lacune, mais qui ne rendait pas la scène illisible, en plus de nombreux autres petits manques. Tissée en chevronnée, la toile est en fait composée de morceaux cousus ensemble. Ce rapiéçage de supports divers pour les grands formats, pas initialement des supports pour la peinture, était commun à l’époque.
Le vernis de la toile était lui très abîmé et très opaque, avec du chanci (une opacité qui se forme suite à la condensation d’eau dans les petites craquelures du vernis. Par capillarité, elles retiennent un peu de vapeur d’eau qui se condense et crée l’opacité). Très oxydées, toutes les couleurs étaient couvertes par un voile blanchâtre, jaune. On a eu une petite infestation de moisissures et également une imprégnation au revers d’un enduit rouge. L’enduit face peinture était complété par cet enduit au revers pour durcir davantage la toile. La toile comportait aussi des restaurations et des réparations antérieures. On voyait que quelqu’un avait essayé de rendre ça présentable, peut-être parce que la toile a souffert à la Révolution.
Quelles opérations ont été effectuées ?
Le tableau a été transporté à Nantes chez Kiriaki Tsesmeloglou, qui dispose d’une table basse pression. C’est un outil formidable mais qui nécessite des installations dont je ne dispose pas encore. Nous avons travaillé en binôme dans son atelier à Nantes. On a préparé le support, depuis le transport où nous avons retiré les consolidations temporaires. Kiriaki Tsesmeloglou a travaillé à amincir la couche d’enduit rouge, pour rendre la toile plus adhérente et souple. Cette couche aurait pu rendre le doublage moins effectif puisque nous devions accrocher notre adhésif à des fibres de la toile. Ensuite, nous avons commencé à mettre à plat les bords et déchirures, réencoller, couper les greffes sur mesure en toile imprégnée.
Pour les grandes pièces, nous avons préenduit la toile du côté couche picturale pour imperméabiliser et permettre de travailler sur le comblement des lacunes. Nous avons utilisé des colles vinyliques thermo activables et nous avons renforcé les bords avec un film adhésif également thermo activable, très fin et qui ne sature pas la toile tout en étant facile à retirer. Nous avons ensuite imprégné la toile avec de l’aquazole, un liant qui permet de rendre la toile souple et l’adhésion avant le doublage. On a ensuite posé les bandes de tension et on a tendu la toile sur le bâti extensible, qui permet de mettre la toile en tension. Après ces étapes de préparation, le tableau a reçu une nouvelle couche d’aquazole sur la couche picturale pour saturer la toile et travailler le mastic sur la face. Des mastics en différentes couleurs ont été choisis pour nous faciliter la tâche : ocre pour la chair, plus violacée pour tout ce qui est bleu, blanc pour le très clair. Les lacunes ont permis de mettre à niveau les lacunes pour arriver au niveau de la couche picturale. La toile a ensuite été déposé de son bâti et nous avons tendu la toile de doublage. Celle-ci était préparée avec un Beva® film chauffé au fer à repasser. Élément important, la couche picturale a été vernis avant doublage pour mieux la protéger. Nous avons ensuite placé la toile et actionner la table basse pression. Tout l’ensemble est contrôlé pendant une vingtaine de minutes pour actionner la colle et cela refroidit en basse pression avec la succion de la table. Tout cela a très bien fonctionné.
Nous avons fait le choix de laisser les coutures apparentes. Les araser aurait permis d’aplanir la toile mais à terme la toile n’aurait plus tenu que par collage, entrainant à long terme des décollements spontanés. Nous avons préféré conserver cet élément d’origine. Une fois le doublage terminé, nous avons mis en place un châssis de type flottant fait sur mesure, qui permet des réglages fluides et discrets. La toile a été tendu avec des pinces à tendre et fixée avec des agrafes inoxydables. Nous avons ensuite repris nos mastics et les avons sculptés dans l’esprit de la couche picturale. Ce travail de structuration de superficie des comblements a été fait avec des scalpels et spatules afin d’imiter les craquelures et d’imiter la couche picturale sur les lacunes. Les premiers fonds ont été appliqués en acrylique sur les lacunes, suivi de l’application d’un autre vernis pour saturer et isoler les mastics des retouches, en vue de les retirer plus facilement. Les retouches ont été faites avec des pigments secs avec le vernis afin d’avoir l’aspect le plus proche. Le principe n’était pas de reproduire à l’identique, sur un tableau qui a tant souffert nous ne cherchions pas à tout cacher. Avec ce grand format, la toile est plutôt regardée dans son ensemble. Ainsi nos retouches se voient, légèrement en dessous des tons de la couche picturale, mais créent l’illusion. La toile a été restituée à la commune à la fin du mois de juillet et sera certainement inaugurée prochainement.
Cette restauration est dite « fondamentale », qu’est-ce que cela implique ?
La restauration fondamentale consiste à s’occuper de tout de à A à Z : support et couche picturale. Il y a forcément une composante de restauration esthétique. Nettoyage dans un premier temps mais aussi restitution visuelle par retouche. On peut avoir différents paris quand on a un tableau en restauration. Parfois il faut juste le stabiliser et les lacunes ne sont pas traitées, on parle alors de restauration conservatoire ou structurelle. Fondamentale veut dire qu’on a un besoin de s’occuper de tout : support, vernis, fonds, structure portante, couche picturale, couche de préparation, etc.
Les photos montrent une toile totalement régénérée. Le restaurateur participe à la vie de l’œuvre, mais ici il s’agit plus de « survie ». Comment abordez-vous la restauration dans le cas d’une œuvre aussi malmenée par le temps ?
C’est toujours un challenge, intervenir sur la matière peut être compliqué et comporter un nombre de surprises. On reste toujours prudent, on essaie de ne pas nuire et empirer l’état. C’est un premier principe qui nous tient à cœur. Cependant on peut être dépassé par certaines surprises. Dans le cas présent on avait tout bien prévu, bien testé avant d’appliquer des solvants, des solutions nettoyantes, pour voir comment ça réagit. Il faut rester humble par rapport à l’œuvre et nos idées. Si une idée ne fonctionne pas ce n’est pas grave, il faudra faire autrement. Il faut toujours garder cette ouverture et cette humilité. On intervient sur une matière tellement plus vieille que nous, il faut savoir rester décomplexé : si quelque chose ne fonctionne pas, on cherche, on teste et on trouve. Pour un projet de grande envergure, c’est toujours mieux de retrouver à deux avec chacune notre apport d’expertise et de travailler en dialogue avec l’œuvre.
« On fait ce métier pour que cela puisse être vu par d’autres générations. Quand j’arrive à sauver un bout des œuvres passées, il y a une vraie satisfaction. »