L’édito du président – Avril 2021
Dans cette lettre, nous sommes heureux de vous faire part de la redécouverte de l’église Saint-Joseph de Roubaix, merveilleusement restaurée alors qu’elle était menacée de disparaître quand la Sauvegarde s’est engagée pour que cela n’arrive pas (cf notre article).
Mais en même temps hélas, nous devons déplorer l’incendie de l’église de Romilly-la-Puthenaye, commune dont nous avions soutenu la restauration de l’église Saint-Aubin. Entièrement détruite par les flammes, elle a perdu tout son mobilier qui a malheureusement disparu pour toujours (cf article du Figaro). C’est le cas également du retable du transept droit de la collégiale d’Avesnes-sur-Helpe qui a été incendié, entrainant la perte de trois magnifiques tableaux de Watteau de Lille.
Heureusement le retable du transept gauche, avec également trois tableaux de Watteau, n’a pas été touché. La beauté de ceux-ci avait été révélée aux Avesnois grâce à la campagne enthousiaste menée par des élèves de l’école du Louvre pour permettre leur restauration dans le cadre de notre campagne du Plus Grand Musée de France. Aussi, nous nous associons à l’indignation de Léopold Legros, qui avait mené cette campagne, et qui vient de nous faire parvenir une lettre que nous publions ci-après.
Mais ce qui doit nous permettre de rester optimiste c’est l’engagement de tous ceux, de plus en plus nombreux chaque année, qui s’investissent aux côtés de la Sauvegarde de l’Art Français, dans sa campagne du Plus Grand Musée de France. Cette lettre vous en rend compte.
Olivier de Rohan Chabot
Les œuvres d’art aussi sont mortelles ! – par léopold legros
Il y a maintenant trois semaines nous apprenions avec stupéfaction que trois des plus précieuses œuvres d’art conservées dans notre région venaient de partir en fumée. Effroi, incrédulité, colère – mais pas résignation, surtout pas ! C’est pourtant un macabre pressentiment qui s’est emparé de nous tous à la vue de ces cendres entassées, comme une sorte de pressentiment de notre propre fin. Comme il est aisé de détruire ces fragiles beautés, survivances des siècles que sont nos monuments historiques !
J’ai pensé aux vandalismes et aux destructions des siècles passés, qui n’ont jamais auguré que le pire. En d’autres temps l’humaniste Érasme nous avertissait que là où les livres brûlent, il est à craindre que bientôt des hommes et des femmes connaîtront le même sort. Livres ou oeuvres d’art, même combat ! Cet autodafé artistique jette comme une ombre funeste qui plane au dessus de nos têtes.
Ce qui a disparu
Ces trois tableaux de Louis Joseph Watteau constituaient la moitié de l’ensemble de six œuvres qui se trouvaient depuis 250 ans dans la Collégiale d’Avesnes. Louis Joseph Watteau était le plus grand peintre de la région à la fin du XVIIIème siècle, et ces œuvres lui avaient été commandées spécialement pour orner la Collégiale à la fin des années 1760. Les tableaux se trouvaient de plus dans leurs retables d’origines, leur conférant un supplément d’âme. Des tableaux dans leur « milieu naturel » en quelque sorte.
Les églises étaient à cette époque les principaux lieux de mécénat artistique, concentrant les oeuvres des meilleurs artistes qui étaient largement visibles par le public. L’équivalent en quelque sorte de nos fondations et musées contemporains.
« Personne n’a été tué »
Le raisonnement habituel selon lequel « personne n’a été tué » et que « le pire a donc été évité » nous semble aussi simpliste que fallacieux. Très utile pour oublier et vite passer à autre chose. C’est en fait une part de chacun des Avesnois et des amoureux du patrimoine qui a été tuée, nous diminuant tous d’autant. Trois semaines après le drame, il est inconcevable de se cacher derrière son petit doigt en mettant les cendres sous le tapis.
Alors que l’on célébrait il y a quelques jours les deux ans de l’incendie de Notre Dame, le souvenir de ce tragique précédent nous vient évidemment à l’esprit, même si la cause de l’incendie d’Avesnes est encore plus consternante puisqu’il s’agit cette fois d’un acte intentionnel.
Sauver les meubles !
Fort heureusement l’autre triptyque de Watteau qui se trouve dans le transept nord de la collégiale a échappé à ce carnage. Son sort me tient particulièrement à cœur puisqu’à l’époque où je dirigeais la Junior Entreprise de l’école du Louvre, j’avais entrepris avec la Fondation pour la Sauvegarde de l’art français, une campagne qui avait permis de financer la restauration de l’œuvre maîtresse de cet ensemble, l’Assomption datée de 1768.
Cette restauration avait été rendue possible par le ferme engagement de la société civile, associations, élus, presse, public, et mécènes, et il est heureux de constater que les Avesnois se mobilisent déjà largement suite aux récents évènements, notamment par la création d’une association de Sauvegarde. Point n’est ici question de restaurer ce qui n’existe plus et n’existera plus jamais, mais alors qu’on commence à évoquer des dégâts structurels qui menaceraient la solidité de la voûte, il est absolument fondamental que l’élan de compassion et de soutien suscité par le drame du 3 avril se poursuive au-delà de l’émotion du moment. Ainsi ce lieu de culte et surtout de culture, qui appartient à tous, pourra rouvrir largement ses portes et pour longtemps encore.