En juin dernier, le jury du prestigieux Prix Lambert, présidé par Alain Mérot, Professeur émérite en histoire de l’art moderne, s’est réuni pour désigner le lauréat de cette année. Julie Glodt, docteure en histoire de l’art médiéval, a su convaincre les membres du jury avec sa remarquable thèse intitulée « L’environnement textile de l’autel. Une histoire ritologique de l’art, ca. 1250-ca. 1550 ».

À l’occasion d’un entretien, Julie nous confie les origines de sa thèse et les recherches passionnantes qu’elle a menées pendant de longs mois.

ENTRETIEN AVEC JULIE GLODT

Je m’appelle Julie Glodt, je suis archiviste paléographe et docteure en histoire de l’art médiéval. L’année dernière, j’ai soutenu une thèse de doctorat intitulée « L’environnement textile de l’autel. Une histoire ritologique de l’art, ca. 1250-ca. 1550 » sous la codirection de Philippe Plagnieux (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/HiCSA) et d’Alain Rauwel (Université de Bourgogne/Césor). Ce travail a été honoré du prix Lambert 2024 décerné par la Sauvegarde de l’Art Français.

LSAF : Parlez-nous du travail qui vous a valu ce prix. Pourquoi avoir choisi ce champ de recherche ?

Mon sujet de thèse porte sur les textiles disposés autour de l’autel à la fin du Moyen Âge. Ceux-ci peuvent être de nature très diverse : des parements, généralement colorés et ornés (antependium, retable, dais), ou des linges plus simples (nappes, corporaux). J’ai choisi d’examiner tous ces objets de concert, sous l’angle de leur usage et de leur manipulation dans le cours du rituel eucharistique, c’est-à-dire la célébration de la messe par le prêtre ou l’évêque.

L’étude des textiles anciens est un champ de recherche encore relativement jeune à l’Université. Jusqu’à présent, les vêtements et les pièces les plus prestigieuses ont focalisé l’attention des chercheurs. La France conserve quelques chefs-d’œuvre tels que le parement de Narbonne (Paris, Musée du Louvre), le parement des Cordeliers de Toulouse (Toulouse, Musée Paul Dupuy) ou encore la tapisserie des Trois Couronnements (Sens, trésor de la cathédrale). Toutefois, ces textiles ne représentent qu’une petite part des textiles déployés autour de l’autel à la fin du Moyen Âge.

LSAF : Comment se sont déroulées vos recherches ?

L’une des difficultés de mes recherches consistait à étudier un corpus en grande partie disparu. Pour ce faire, il a fallu enquêter dans de nombreuses sources différentes : des textes (inventaires, comptes, mais aussi textes liturgiques), des images représentant l’autel et des objets. Trois questions majeures ont guidé mon travail : comment ces textiles sont-ils faits ? qu’en a-t-on dit ? et qu’en a-t-on fait ? Ce faisant, cette thèse se veut à la rencontre de plusieurs méthodologies : l’histoire de l’art bien entendu, mais aussi l’analyse technique des textiles, les ritual studies et l’anthropologie historique.

Les textiles sont des objets intermédiaires par excellence : ils ménagent des transitions entre les corps, que ce soit le corps du célébrant ou le corps du Christ présent sous forme sacramentelle, les objets du culte tels que le calice et la patène et l’autel lui-même, épicentre sacral de l’église. Loin d’être dispensables, ces textiles sont les conjonction de coordination de toute bonne syntaxe liturgique.

Les textiles au Moyen Âge sont également des objets particulièrement riches sur le plan métaphorique. La beauté n’est pas toujours proportionnelle à la sacralité. Les pièces les plus importantes, telles que le corporal, peuvent être valorisées pour leur matière végétale, leur monochromie et leur pureté.

LSAF : Pouvez-vous détailler une thématique emblématique de votre travail ?

Les courtines constituent un bel exemple de ces objets qui ont aujourd’hui complètement disparu, mais qui devaient jouer un rôle de premier plan dans la construction visuelle de l’autel gothique.

Vraisemblablement apparues au milieu du XIIIe siècle et perdurant dans certaines églises françaises jusqu’au XVIIIe siècle, les courtines sont des paires de rideaux disposés de part et d’autre de l’autel, parfois fixés entre des colonnes surmontées d’anges. Les inventaires, les comptes et les images décrivent des objets souvent très colorés, tissés en général dans une armure simple et sans motif.

Jusqu’à présent, l’historiographie avait vu dans ces rideaux une barrière visuelle, soustrayant l’autel à la vue des fidèles et matérialisant ainsi une séparation sociale entre clercs et laïcs. Toutefois, l’examen des sources médiévales révèle que ces courtines n’ont pas de fonction liturgique à proprement parler. Elles permettent un marquage ornemental, coloré et expressif de l’autel au sein de l’espace ecclésial.

L’un des objectifs de cette thèse était de proposer non seulement une étude des objets au prisme du rituel, mais aussi une étude des rituels à travers les objets, soulignant ainsi la diversité des coutumes locales et déjouant une vision trop fonctionnaliste de la liturgie.

Toulouse, Musée Paul Dupuy, Inv. 18301 ; Devant d’autel, début du XIVe siècle, 87×264. © Musée Paul Dupuy.

LSAF : En quoi le Prix Lambert va-t-il concrètement contribuer à votre parcours de jeune chercheuse ?

Le manuscrit de ma thèse a été accepté en mai dernier aux Éditions de la Sorbonne, dans la collection Histoire de l’art. Le prix Lambert me permettra de publier un volume abordable et surtout d’accroître le nombre et la qualité des illustrations, ce qui est essentiel pour mieux faire connaître ces objets, parfois encore considérés comme secondaires. Je remercie beaucoup la Sauvegarde de l’Art français pour cette distinction et cette aide.

Ce prix est l’occasion de remercier toutes celles et ceux sans qui cette thèse n’aurait pu aboutir : mes professeurs, ma famille, mes amis, mes camarades. J’encourage les jeunes chercheuses et chercheurs en histoire de l’art à postuler au prochain prix Lambert.

▶️ Retrouvez prochainement l’interview vidéo de Julie !

Le PRIX LAMBERT soutient les conservateurs dans la publication de leur thèse

Chaque année, la Sauvegarde de l’Art Français décerne une distinction à un doctorant issu des universités françaises, en reconnaissance de l’excellence et de la signification de ses recherches en histoire de l’art. Cela inclut les études sur l’architecture, les arts et le patrimoine français, depuis le Haut Moyen Âge jusqu’à la première moitié du XXe siècle. L’objectif de ce prix académique est de valoriser les nouveaux docteurs de l’université et de faciliter la diffusion de leurs thèses par le biais de publications de grande qualité éditoriale.

Doté d’une somme de 10 000 €, le Prix Lambert se divise en deux volets complémentaires dans le cadre d’un projet éditorial : une récompense attribuée directement au chercheur et un soutien financier destiné à l’éditeur pour la publication de la thèse, octroyé suite à la soumission du manuscrit. Ce prix est rendu possible grâce au soutien financier de Thomas Lambert, un ancien étudiant de l’École Normale Supérieure et membre du conseil d’administration de la Fondation, représentant les amis et bienfaiteurs.

Le prix Lambert me permettra de publier un volume abordable et surtout d’accroître le nombre et la qualité des illustrations, ce qui est essentiel pour mieux faire connaître ces objets, parfois encore considérés comme secondaires. Je remercie beaucoup la Sauvegarde de l’Art français pour cette distinction et cette aide.

Julie Glodt, Lauréate du Prix Lambert 2024