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Le Capcir est la haute vallée où l’Aude prend sa source, orientée Nord-Sud, ample, calme, dominée par les sommets du Madres et du Carlit. « Le mot Capcir, dit l’abbé Cazes, semble provenir du nom du col de Campser » (cité en 873) et, ajoute-t-il, « si nous nous souvenons que le lieudit Vallsera, dans les environs a été interprété Vallem Ursariam, c’est-à-dire vallée des Ours, il faudra convenir que Campser serait à traduire par Champ des Ours ». Étymologie peut-être forcée que l’érudit abbé donnait sous toutes réserves[1], mais que nous adoptons volontiers, ne serait-ce que par sympathie pour les plantigrades pyrénéens comme pour le travail si original de l’historien des communautés villageoises catalanes et de leurs églises, disparu en 2012[2]. Formiguères (Formiguera), lieu comtal, capitale du Capcir (autrefois dépendance du Razès, mais tôt inclus dans le comté de Cerdagne), nous est connue depuis l’acte de consécration de son église dédiée à la Vierge, le 21 septembre 873, par l’archevêque de Narbonne Sigebod, en présence du fameux Wifred (ou Guifred) le Velu (vers  840-897), comte de Barcelone, de Gérone, d’Urgell et de Cerdagne, dernier comte nommé par le pouvoir carolingien, qui, rendant héréditaire ses fonctions, s’est trouvé à l’origine de la dynastie catalane qui a régné en ligne masculine directe sur ces contrées jusqu’au début du XVe siècle. L’archevêque venait à la demande de l’abbé de l’abbaye de Joucou, à laquelle, sans doute par donation comtale, appartenaient la plupart des paroisses du Capcir[3]. Le Capcir n’est pas du diocèse d’Elne comme le Conflent voisin, mais de celui de Narbonne et, après 1318, de celui d’Alet, jusqu’en 1790.

Villeneuve (Vila Nova), qu’on appelle de nos jours Villeneuve-de-Formiguères, a été réunie à Formiguères au moment de la Révolution, mais c’est un territoire autrefois distinct, survivance d’un village disparu, Creu, dont il était un hameau, déjà cité en 1087[4]. Villeneuve n’est cependant pas une paroisse, ayant toujours dépendu, semble-t-il, de Formiguères pour le spirituel, et ne possède pas d’église. A quelques centaines de mètres du village s’élève la chapelle Notre-Dame, objet de cette notice, qui est un sanctuaire de pèlerinage dont l’histoire est très peu documentée. En tout état de cause, la date de « 1735 » figurant à l’arc de la porte principale est l’indication la plus sûre pour dater l’édifice, dont on ne connaît pas les circonstances de la construction.

Plus exactement, l’existence de ce lieu de culte fait l’objet de plusieurs récits légendaires toujours vivants, repris en partie par des historiens locaux depuis le XIXe siècle. Arrêtons-nous sur ces relations quelques instants. L’une est le récit de l’invention miraculeuse de l’image de la Vierge à l’Enfant qu’on y vénère, trouvée à l’emplacement d’une source par un pâtre, voyant le taureau dont il avait la charge gratter le sol en restant sourd à ses appels. L’épisode est reproduit, en sculpture, sur le retable et raconté dans les goigs[5], cantique propre à la chapelle. Ce récit d’invention miraculeuse, avec l’intervention d’un taureau, est un topique, partagé par plusieurs sanctuaires des environs, au premier chef Notre-Dame de Font-Romeu, mais aussi Notre-Dame de Planès[6] et beaucoup d’autres, proches ou lointains. Le second récit serait beaucoup plus moderne, peut-être enraciné dans d’authentiques souvenirs historiques : un prêtre injustement emprisonné aurait fait vœu de construire la chapelle, s’il était délivré de l’accusation infondée dont il était l’objet. Ce qui arriva. S’agit-il du souvenir d’un événement réel du début du XVIIIsiècle ? Est-il à l’origine de l’édifice actuel ? C’est difficile à confirmer, la chapelle de Villeneuve n’ayant – fait assez exceptionnel pour un tel lieu de culte – laissé aucune trace dans les archives, aux dires des historiens locaux, avant le XIXe siècle. On peut conjecturer qu’avant l’édification de la chapelle, le lieu de dévotion et de pèlerinage, associé à la source, était un simple oratoire.

L’édifice construit ou achevé, donc, en 1735 est une nef rectangulaire à chevet plat, orientée nord-est/sud-ouest, d’environ 5 m de large, couverte en charpente, flanquée d’une sacristie au nord-ouest dont le soubassement constitue le réservoir de la source qui se déverse à l’extérieur par une fontaine. A l’origine, l’édifice était plus court (environ 11 m de long) et a été agrandi en 1878 vers le sud-ouest de six mètres environ[7]. Il faut penser que lors de ces travaux, on a soigneusement démonté la porte du XVIIIe s. et les deux fenêtres rectangulaires munies de grilles qui la flanquent de part et d’autre. Typiques des sanctuaires de pèlerinage, ces fenêtres permettaient de voir l’intérieur de l’édifice et l’image dévotionnelle même lorsqu’il était fermé. Cette nouvelle travée de l’édifice s’appuie au nord-ouest sur deux contreforts, et la façade possède un avant-corps peu saillant sur lequel s’élève un clocher-mur à deux arcades, comportant deux cloches : l’une de 1811 (provenant de la refonte d’une cloche plus ancienne) et l’autre de 1884, achetée toute faite au diocèse de Toulouse. D’après les observations de Bruno Morin, l’architecte du patrimoine qui a suivi les travaux entrepris depuis 2010 pour la restauration de la chapelle, l’agrandissement s’est accompagné de la pose de fermes métalliques remplaçant les anciens bois de charpente ; la fausse-voûte surbaissée en plâtre sur lattis, qui habille la nef à l’intérieur, aujourd’hui restaurée, ayant substitué un dispositif comparable du XVIIIe s. sur la partie plus ancienne. Mentionnons encore la construction, dès 1803, d’une maison destinée à l’administration de la chapelle et au logement de pèlerins, mitoyenne de la façade. Cette maison fut ensuite surélevée d’un étage au XIXe siècle.

Le principal ornement de cet édifice est le grand retable sculpté, doré et polychrome qui garnit le sanctuaire. Ce retable, à cinq travées et trois registres, très orné, associe un grand nombre de bas-reliefs, qui content toute l’histoire du Salut – de l’Annonciation au Couronnement de la Vierge – et de nombreuses statues de saints qui remplacent les colonnes entre les bas-reliefs. Il est adapté à l’édifice, ce qui laisse penser qu’il ne peut être de beaucoup postérieur à la construction de celui-ci, donc 1735-1740 ? A défaut de sources, le destin de ce retable est, une fois de plus, commenté dans un certain nombre de traditions orales rapportées par des historiens du XXe s., sans que l’on puisse rien affirmer. Il aurait été démonté et « caché » à la Révolution, puis remis en place par un sculpteur de retables, Patrici Negra (dont le nom est souvent francisé en Patrice Nègre), alors réfugié en Capcir parce que poursuivi comme émigré[8]… Il est plus probable que l’ermitage, n’étant pas une église paroissiale, fut mis en vente à partir de 1791 comme bien national et que le retable, ainsi que cela s’est produit en de multiples endroits, ait été démonté pour être réattribué à un lieu de culte – même si un démontage « spontané » et une mise à l’abri par des acteurs locaux ne soient pas, non plus, à exclure a priori. L’ermitage n’aurait-il pas été, en raison de l’attachement des populations, rapidement racheté pour être préservé ? Une délibération du conseil de fabrique de Formiguères de 1811 déclare : « Ladite chapelle […] est une propriété qui provient des libéralités des communes du Capcir[9] », ce qui pourrait être interprété en ce sens. Dès lors, une fois passée la crise anti-religieuse des années 1793-1795, il serait facile d’imaginer que le retable ait pu être remonté in situ et le sanctuaire rouvert au culte. Patrici Negra est un sculpteur de retables documenté à la fin du XVIIIe s.[10] (et même au début du XIXe), qui a pu jouer un rôle dans la réinstallation de l’œuvre. Comme il est dit plus haut, le retable présente, à la prédelle, un petit bas-relief qui illustre la légende de l’invention miraculeuse de la statue de la Vierge par un taureau.

Cette image, source même du pèlerinage, est toujours conservée et se présente sous la forme d’une figurine de petite taille, sans revers, en terre cuite peinte et dorée. Objet assez énigmatique et pauvre en qualité (même s’il est émouvant), de date incertaine, il n’a pas été retenu par les auteurs du Corpus des Vierges à l’Enfant (XIIe-XVs.) des Pyrénées-Orientales[11]. A l’occasion des récents travaux, une petite vitrine permettant son approche dévotionnelle a été créée et installée sur le mur de la nef, à main gauche du sanctuaire. La restauration de l’édifice peut être considéré désormais comme achevée, si ce n’est la fontaine de la source dont l’eau est parée par la tradition de nombreuses vertus. Une association intercommunale, qui réunit des personnes des différentes communautés du Capcir, compte l’entreprendre bientôt.

La Sauvegarde de l’Art français a apporté une aide de 12 000 € en 2015 pour la consolidation du clocher et de l’angle sud-ouest de la chapelle.

Olivier Poisson

Bibliographie :

Cazes, Le Capcir, Prades, s.d., 48 p. (Coll. Guide touristique Conflent).

Sagnes (dir.), Le Pays catalan, Pau, 1985, 2 vol. (répertoire des communes : t. II, p. 873-1096).

Blanch, Histoire du sanctuaire de Notre-Dame de Villeneuve en Capcir, Formiguères, Association intercommunale de sauvegarde de la chapelle de Villeneuve, 2010, 4 p.

J.-B. Mathon et M.-P. Subes (dir.), Vierges à l’Enfant médiévales de Catalogne… Suivi de : Corpus des Vierges à l’Enfant (xiie-xve siècle) des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 2013 (coll. Histoire de l’art, 5).

Notes :

[1] Cazes s.d., p. 3.

[2] Abbé Albert Cazes, 1924-2012, auteur de nombreuses monographies d’églises des Pyrénées-Orientales et d’une Histoire anecdotique du Roussillon (1985, 1992).

[3] Voir la notice de l’église de Réal, dans les Cahiers de la Sauvegarde de l’Art français, 26, 2017, p. 113-115.

[4] Sagnes 1985, p. 945-946.

[5] Goig, en catalan « joie » (lat. gaudium), nom donné aux cantiques propres d’une église ou d’une dévotion, souvent imprimés à l’usage des fidèles.

[6] O. Poisson, « L’église de Planès et son interprétation comme mosquée au 19e s. », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXV, 2004, p. 151-159.

[7] B. Morin, architecte, Dossier de diagnostic sanitaire, 2011, p. 11.

[8] Blanch 2010, p. 14.

[9] Cazes, s.d., p. 30.

[10] E. Cortade, « Retables baroques du Roussillon », Connaissance du Roussillon, I, 1973, p. 201.

[11] A la différence de la statue se trouvant au centre du retable, dite Mare de Déu Nova, du xve s., qui est supposée y avoir été incorporée après la Révolution (Mathon-Subes 2013, p. 308).

Le projet en images

plan au sol, par B. Morin, architecte du patrimoine